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sophique. Même cette espérance d’un anéantissement final que Hartmann nous propose dans la Philosophie de l’Inconscient est pour Bahnsen une illusion, puisqu’il n’y a point de facteur intelligent dans le monde, pour accomplir sa rédemption. « Aussi loin, dit-il, qu’atteignent nos sens, nos recherches, notre pensée, nos arguties spéculatives, nous ne trouvons dans l’univers qu’une lamentation vaine et sans espoir de répit. » En Bahnsen, dit un critique, l’affirmation de la raison comme principe de l’univers est complètement éteinte, en sorte qu’on peut dire que c’est le dernier mot du pessimisme.


Tout ceci n’est encore que l’histoire du pessimisme. En abordant la critique, l’auteur s’attache d’abord à bien poser le problème. ~ Le monde est-il bon ou mauvais ? C’est là une question ; à la question, il faut répondre à l’aide des faits et dans les seules limites de l’expérience. Il ne s’agit point, comme pour la plupart des optimistes, en particulier Leibniz, de se placer à un point de vue théologique et de là affirmer que le mal est une simple « privation ». Ce ne serait qu’un exercice purement verbal. La douleur, à titre de fait, est aussi réelle que le plaisir, quelle qu’en puisse être l’origine métaphysique.

Cette question amène donc M. Sully à examiner longuement la nature du plaisir et du bonheur, dont le pessimisme nie la réalité. C’est une bonne étude analytique qui pourra être lue ayec intérêt, en France, même après les deux ouvrages de Léon Dumont et de M. Bouillier sur le même sujet. Il rejette absolument et en s’appuyant sur des faits, la thèse fondamentale du pessimisme : Tout plaisir est négatif et a une douleur pour condition. La théorie biologique qui considère le plaisir comme lié à une augmentation de vie serait, dit-il (p. 272), un bon argument en faveur de l’optimisme ; malheureusement ce fait est loin d’être établi d’une manière solide et nous savons de plus que bon nombre de fonctions organiques s’accomplissent sans ajouter quoi que ce soit à la somme de notre plaisir, tandis qu’un trouble sans importance pour l’activité organique en général (une piqûre sous l’ongle) s’accompagne d’une vive douleur.

Ce qui domine dans les analyses de M. Sully, c’est un sentiment très-net des difficultés du problème et de l’impossibilité de le résoudre avec une rigueur suffisante pour un esprit difficile en fait de preuves. Sa critique du pessimisme est beaucoup plus nette : il attaque cette doctrine sur trois points : ses bases métaphysiques, scientifiques, empiriques. Il conteste l’existence de cette volonté inconsciente à laquelle Schopenhauer et Hartmann réduisent l’univers entier ; il conteste une psychologie qui confond la volonté avec une impulsion aveugle et sans raison ; il conteste une appréciation de la vie humaine où toute douleur est tenue pour positive et tout plaisir pour négatif.

Reste un dernier point, l’un des plus curieux : c’est de découvrir les sources du pessimisme contemporain et d’en indiquer la genèse. À cet égard, — et nous sommes complètement de son avis — M. Sully fait la