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ANALYSES. — bouillier.Du plaisir et de la douleur.

l’enthousiasme des grandes généralisations de la physique mathématique, ivre pour ainsi dire de mécanique, persuadé de bonne foi que la loi de la transformation des forces contenait à elle seule la solution de tous les problèmes philosophiques, n’a vu dans le plaisir même et dans la douleur, ces phénomènes qualitatifs s’il en fut, que « la face subjective » des changements quantitatifs de l’énergie. Ce n’est pas lui, qui parlerait de but et de convenance I C’est l’originalité[1], mais aussi, à nos yeux, l’étrange faiblesse de sa théorie, de chercher à rendre compte du plaisir sans aucune considération de finalité. Dans la doctrine de M. Bouillier, au contraire, l’émotion « ne dépend pas seulement de la quantité, mais aussi de la qualité de l’acte… » « plus est parfaite l’énergie déployée (parfaite par rapport à la nature et à la fin de l’être qui la déploie), plus elle est agréable. » En un mot, un. objet ne nous plaît que s’il donne lieu à un développement libre et facile, ni excessif, ni insuffisant, de notre activité normale.

À cela, Dumont fait deux objections.

Premièrement, la théorie de l’évolution (on sait qu’il l’épouse sans restriction et la tient pour suffisamment démontrée), ne permettant plus d’admettre des espèces fixes, ne permet plus de parler de perfection spécifique, de nature idéale, de fins naturelles, etc. — Mais M. Bouillier, sans s’attarder à discuter l’hypothèse évolutionniste, répond fort bien que l’évolution ne procède pas par des « changements à vue », que les transformations, si elles ont lieu, sont imperceptibles de l’aveu de tous et demandent des siècles, que par conséquent, « entre ces intervalles à long terme, avant que s’achève la métamorphose de l’être ancien en un être nouveau, il y a une perspective fort rassurante de stabilité et de durée pour l’activité normale actuelle. » Bien plus, quelques changements qui surviennent, « il y aura toujours, dit-il, une’ activité normale, c’est-à-dire en rapport avec la nature, avec les tendances et les facultés de l’être nouveau, sinon cet être ne pourrait exister. » Il aurait pu insister davantage sur ce point (le point fort, selon nous) de sa doctrine ; il aurait pu ajouter que l’évolution étant un progrès, a par cela même une direction, suppose et implique des fins connues ou non. Qu’on se rappelle les lois de l’évolution, selon Spencer et Darwin : Qu’est-ce que cette sélection des mieux doués, cette accumulation des caractères favorables, cette adaptation de plus en plus parfaite de l’individu à son milieu ? Toutes ces expressions ne contiennent-elles pas avec la dernière évidence cette notion de qualité, dont un être pensant chercherait en vain à débarrasser son esprit ?

La seconde objection de L. Dumont est que le plaisir ne peut consister dans l’exercice de nos facultés, parce que l’exercice d’une faculté, comme d’une force quelconque, est une dépense, une perte, bref, une diminution d’activité, et que toute diminution d’activité est une dou-

  1. Cette originalité n’est pas d’ailleurs absolue. Léon Dumont s’inspirait en cela de Hartmann.