Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
naville. — principes directeurs des hypothèses

est révélé par l’expérience avec l’unité que réclame la raison. De là, cette maxime que nous rencontrons au moyen-âge : « Il ne faut pas multiplier les êtres au-delà de la nécessité. Entia non sunt multiplicanda prœter necessitatem. » Ne pas multiplier les êtres, c’est la devise de la raison ; s’arrêter dans la recherche du simple en présence de la nécessité, c’est-à-dire de l’impossibilité de réduire à l’unité des éléments véritablement divers, c’est la soumission légitime aux droits de l’expérience. C’est ainsi, par exemple, que les cartésiens qui auraient pu être tentés d’expliquer la lumière comme le son par des vibrations de l’air, auraient dû s’arrêter devant le fait bien constaté que la lumière se propage dans le vide où ne se produisent pas les ondes sonores. On oublie trop souvent les droits de l’expérience, on ne s’arrête pas devant la nécessité. Un des plus grands défauts des esprits systématiques, défaut que Bacon a signalé avec énergie, consiste à tirer prématurément des conclusions générales. On est ébloui par une idée nouvelle et l’on s’écrie : Tout est là ! C’est pourquoi il n’est guère de grande découverte qui ne traîne après elle, comme son ombre, quelque grande erreur. Un autre défaut, voisin du précédent, est de chercher l’uniformité, là où il ne faut chercher que l’unité d’harmonie. « La vraie simplicité atteinte dans la nature, dit avec raison M. Hirn, c’est que la diversité des éléments et des lois converge en un tout harmonieux que l’homme ne peut qu’admirer, mais qu’il ne peut concevoir a priori[1]. » Si on cherche l’uniformité, l’identité des éléments au lieu de leur harmonie, on s’égare souvent, en rêvant des réductions et des transformations imaginaires. L’histoire est riche en enseignements sous ce rapport ; nous nous bornerons à quelques exemples significatifs.

Les tentatives de réductions impossibles ont une double origine, une origine mathématique ou spécialement rationnelle, et une origine empirique. Commençons par les écarts des savants formés sous l’influence prépondérante des mathématiques.

Dans sa tentative pour expliquer tous les phénomènes du monde, Descartes se trouve placé, comme nous le sommes encore aujourd’hui, en présence de trois éléments irréductibles par les procédés légitimes de la science : l’esprit, ou le sujet des faits de conscience ; la matière, ou l’objet auquel se rapportent nos représentations sensibles ; la vie, dont la conception pleine de difficultés est celle d’une spontanéité qui n’est ni le mécanisme de la matière, ni l’action consciente de l’esprit. Sous l’empire du besoin d’unité que personne n’a éprouvé plus que lui, Descartes se défait d’abord de la vie par la

  1. Conséquences philosophiques et métaphysiques de la thermodynamique.