Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
naville. — principes directeurs des hypothèses

les parties la reçoivent, étant agitées intérieurement par la force du concours. Ainsi le défaut n’arrive qu’en apparence. Les forces ne sont pas détruites, mais dissipées parmi les parties menues. Ce n’est pas les perdre, mais c’est faire comme ceux qui changent la grosse monnaie en petite. Je demeure cependant d’accord que la quantité du mouvement ne demeure point la même ; mais j’ai montré ailleurs qu’il y a de la différence entre la quantité du mouvement et celle de la force[1]. » Leibnitz avait rectifié la théorie de Descartes pour la notation de l’élément constant, qui est la force motrice et non le mouvement appréciable actuel, en indiquant la manière dont la vitesse doit entrer dans les calculs. Il établit que ce n’est pas la quantité , c’est-à-dire la masse multipliée par la vitesse qu’on retrouve toujours la même, mais la quantité , c’est-à-dire la masse multipliée par le carré de la vitesse. Mais, pour le fond et l’essentiel, la théorie de la constance de la force dans sa généralité, a été soutenue par l’école cartésienne dès le milieu du xviie siècle, et elle a été soutenue en termes clairs et précis, dans une discussion qui date de 1715.

Les idées fondamentales de la physique moderne ont donc deux cents ans de date ; la confirmation expérimentale devait se faire longtemps attendre, et n’est point achevée encore, mais avant de confirmer une idée scientifique il faut l’avoir. Partout et toujours, l’affirmation de l’harmonie et de l’unité a devancé sa preuve. L’empirisme est aussi incapable d’expliquer l’histoire de la science, qu’il est impuissant, malgré les efforts désespérés qu’il a tentés dans ce but, à ramener les notions mathématiques à une origine sensible. L’expérience est la base nécessaire et le contrôle indispensable des théories. Toute science qui ne repose pas sur l’observation des faits, est une science vaine ; mais les hypothèses explicatives se produisent sous l’influence des principes que la pensée ne reçoit pas du dehors et qui sont le patrimoine de l’esprit humain. La recherche de l’unité, dans ses manifestations diverses, est la source de la science ; la faire sortir de l’observation, c’est prendre les effets pour les causes. Les tendances de la raison vers l’unité, l’harmonie, la simplicité sont les ailes de la pensée, et c’est parce que la pensée a des ailes qu’il est nécessaire, pour emprunter une image à Bacon, de lui donner pour lest le plomb de l’expérience. Modérer, par l’usage de ce plomb, l’essor trop hardi de l’esprit scientifique dans les explications de la nature, fut le rôle du xviiie siècle. Les conceptions cartésiennes de l’unité de la matière, de la constance de la force, de la transforma-

  1. Œuvres de Leibnitz, Édition Erdmann, page 775.