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condition finie lui permet une telle perfection. Ainsi en est-il de l’histoire, telle que l’art nous la donne. L’histoire ici, c’est F histoire réelle, mais non telle que l’observation la montre dans sa réalité empirique ; c’est l’histoire conçue d’après son essence, sa vérité, son idée.

Dans la réalité commune ne manquent pas les laideurs les plus révoltantes. L’art ne peut les admettre ainsi sans les modifier. Il doit nous représenter le laid sans doute, dans toute sa laideur, sous ses traits les plus saillants qui révèlent le néant de sa fausseté repoussante. Il doit cependant le faire avec cette idéalité avec laquelle il traite aussi le beau. Dans celui-ci il écarte du réel tout ce qui est accidentel ; il fait ressortir sa signification, il efface les traits qui ne sont pas essentiels. Il doit en user de même pour le laid, faire ressortir les caractères et les formes qui font que le laid est laid, mais rejeter tout ce qui apparaît comme accidentel dans son existence, ce qui affaiblit ou embrouille les traits caractéristiques. Cette épuration du laid et de l’indéterminé, de l’accidentel, de ce qui manque de caractère, est un acte d’idéalisation. Cette opération consiste non dans l’addition d’un beau étranger au laid, mais dans le fait de faire ressortir et saillir les éléments qui le marquent de son empreinte véritable, en opposition avec le beau, ce qui fait, en quelque sorte, son originalité. Les Grecs, dans cette idéalisation, quelquefois arrivent au point où le laid se change en beauté positive, comme dans les Euménides et la figure de Méduse. Mais si l’on s’imagine qu’ils cherchent ici la beauté idéale principalement dans le repos et la sérénité, qu’ils ont voulu seulement éviter le mouvement et la vivacité de l’expression, comme laids, c’est là une conception trop étroite, tirée de la considération de quelques œuvres d e la sculpture. Dans la sculpture elle-même, ils ne redoutaient pas le terrible, ni le mouvement dramatique.

Ainsi le laid doit aussi être par l’art purifié de tout superflu hétérogène et de tout accident qui trouble son effet. Et lui-même doit être soumis aux lois du beau. Dès lors, une représentation du laid isolé du beau contredirait l’idée de l’art. Pourquoi ? c’est qu’il apparaîtrait alors comme son but final à lui-même (Selbtzweck). L’art doit laisser entrevoir sa nature secondaire, rappeler qu’originairement il n’est pas là pour lui-même, qu’il n’existe que par le beau comme sa négation. Est-il donné en spectacle ? par la place qu’il occupe, la manière dont il est représenté cette pensée doit se trahir, à savoir que cette position lui convient comme un moment dans la totalité harmonique. Mais par là même il ne doit pas être un luxe oiseux, il doit se montrer nécessaire. Il doit se grouper convenablement, se