Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
Ch. bénard. — l’esthétique du laid

festations du laid que nous trouvons dans la nature organique sont possibles également ; son type doit sans doute faire attendre, d’après son idée, la beauté de la forme humaine ; mais l’accidentel et l’arbitraire entrent comme facteurs nécessaires de la réalité commune. Celle-ci nous montre aussi des formes laides, et non-seulement chez les individus, mais dans des cercles plus étendus, les races, les variétés de l’espèce humaine, les familles, , les professions, où elles sont héréditaires. Cependant de telles formes ne sont pas spécifiques dans le même sens qu’elles le sont chez l’animal, dans l’idée duquel (pour certaines espèces) réside originairement la laideur, produite par l’ambiguïté, le désordonné, le contradictoire, etc., comme nous l’avons vu plus haut. »

En face de l’idée de l’homme, les accidents de la forme ne sont que relativement nécessaires. Ils le sont pour l’individu lorsque, par exemple, l’organisme est altéré par les maladies individuelles (scrofule, rachitisme, etc.). Ils sont particuliers, lorsque la déformation vient de ce que l’organisme doit s’adapter à telle localité particulière. Dans ce cas, l’adaptation à un sol ou à un climat déterminé rend cette déviation naturelle. L’homme doit parcourir le même processus que la plante et l’animal. La diversité tellurique s’exprime par la diversité de l’habitus, de la physionomie, comme elle engendre la diversité du genre de vie. L’habitant des montagnes et celui de la plaine, le pâtre et le laboureur, l’habitant du pôle et du tropique, reçoivent nécessairement un caractère anthropologique différent. Le crétinisme lui-même a sa place, puisqu’il appartient à certaines localités, et le crétin est encore plus laid que le nègre, parce qu’à la difformité de la figure s’ajoute encore la stupidité de l’intelligence et la faiblesse de l’esprit. »

Ainsi la laideur ne réside pas dans l’idée de l’homme. Son idée étant celle de la raison et de la liberté, demande à être réalisée aussi dans les proportions de la forme, dans la distinction des pieds et des mains, dans la station droite. Est-il, comme le Boschisman, le crétin, laid de sa nature, dans une telle difformité doit encore se révéler la non-liberté locale et relativement héréditaire.

La maladie est toujours cause de laideur, lorsqu’elle a pour effet de déformer le squelette, les os et les muscles, lorsqu’elle produit l’amaigrissement des membres, change la couleur, etc. Le regard brillant des malades, dans la fièvre, laisse encore apparaître l’esprit. L’esprit semble alors distinct de son organisme, il l’habite encore, mais seulement pour lui faire produire de simples signes. Le corps tout entier, dans sa transparente morbidezza, n’annonce dès lors plus rien que la présence d’un esprit déjà étranger et indépendant de