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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

les distinguer. Il les indique très-bien et nous n’avons pas d’objections à lui faire.

Il s’arrête peu sur les formes du règne inorganique où le laid est à peine marqué. 1° Dans les formes géométriques de la nature inerte, le laid naît de la déviation des lignes qui se déforment, perdent leur pureté, se mêlent et deviennent confuses ; 2° Dans l’action mécanique, le laid est déjà plus prononcé ; les formes s’opposent, elles luttent entre elles, elles se contrarient ; 3° Le processus dynamique ne nous offre, en laideur comme en beauté, que des caractères également peu déterminés.

C’est surtout dans la nature organique que le laid apparaît, se prononce et se caractérise fortement. La forme organique a ici une concentration esthétique plus déterminée, elle est entièrement fermée ; l’individualité se constitue. Aussi la laideur devient possible sous des aspects multiples de plus en plus caractérisés.

Si l’on parcourt les degrés principaux du règne végétal et animal, on y verra la laideur, comme la beauté, s’y accentuer de plus en plus.

1° Les plantes, il est vrai, sont presque toutes belles, même les plantes vénéneuses. Aussi est-ce un préjugé de croire qu’elles annoncent par leurs formes, leurs qualités nuisibles. Les causes de la laideur sont tout autres. Ce sont le milieu, les obstacles au développement, une croissance anormale, la maladie, l’étiolement. La plante se fane, dépérit et meurt, elle se détruit, etc. Tout cela se traduit extérieurement sous mille aspects qui sont désagréables à voir et détruisent la beauté inhérente à la plante. Une foule d’auteurs ont traité ce sujet (Bernardin de Saint-Pierre, Th. Vischer, Köstlin, etc.).

2° Dans le règne animal la possibilité de la laideur augmente toujours en raison de celle de la beauté. Et cela doit être : 1° parce que la richesse des formes s’accroît indéfiniment ; 2° parce que la vie est plus intense ; 3° parce, que les formes sont plus individuelles, les traits plus marqués, plus caractérisés. Tout cela a été aussi maintes fois dit et répété. Notre auteur a su ajouter des remarques intéressantes. Nous en reproduisons quelques-unes qui ont un caractère spécialement philosophique.

« Pour comprendre la laideur dans la forme animale, on doit considérer que la nature avant tout ne vise qu’à protéger la vie de l’espèce en soi ; elle se montre indifférente à la beauté de l’individu. Là est la raison pour laquelle la nature produit des bêtes laides, c’est-à-dire qui sont laides, non par l’effet de la maladie ou de l’âge, mais parce que leur forme laide est constitutive. Néanmoins, dans