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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

d’œil sur les autres écoles pour voir comment elles aussi ont envisagé ce sujet dans leurs recherches.

Elles aussi ont été forcées de lui donner une attention de plus en plus sérieuse, quoiqu’elles fussent moins attirées vers lui et que leur point de vue ne leur fit pas un devoir aussi impérieux de s’en occuper. L’esthétique Herbartiste, on le sait, fait consister le beau dans la forme ou dans les rapports qui plaisent par eux-mêmes, qui excitent dans l’âme des plaisirs désintéressés. Elle ne pouvait être indifférente au laid qui se traduit d’une manière si frappante et sous tant d’aspects divers, dans les formes infiniment variées de la nature et de l’art : comme irrégularité, défiguration, difformité, désharmonie, etc. Il est des accords apparents ou réels, où le laid lui-même semble nécessaire au beau par l’effet des contrastes et des oppositions qui doivent être conciliées. Aussi ce sujet est longuement et souvent minutieusement traité avec une grande exactitude par les divers esthéticiens de cette école. On trouverait beaucoup à recueillir dans les écrits de R. Zimmermann[1], de Zeising, de Bobrik, Griepenkerl.

Quant à Schopenhauer, on est d’abord étonné de trouver si peu de chose sur la question du laid dans les ouvrages de ce penseur paradoxal, mais souvent profond, si heureusement doué pour traiter les sujets de cette sorte et qui a semé tant de vues originales sur les matières de cette science du beau et de l’art. Comment l’auteur du Pessimisme, qui s’est tant étendu sur le problème du mal dans la nature et la destinée humaine, a-t-il pu, à ce point, négliger le côté du laid ? Les laideurs, soit physiques, soit morales, apparaissent-elles moins dans la nature à tous les degrés de l’échelle des êtres ? Et l’art, à son tour, ne les représente-t-il pas en les idéalisant ? On peut s’expliquer cet oubli précisément parce que ce côté moral de la douleur et du mal contient ou efface l’autre. Lui aussi, comme Hegel, s’est borné à poser le principe. Ses successeurs et ses disciples se trouvent forcément conduits à considérer à leur tour ce sujet, et à l’envisager dans ses détails.

Après cet aperçu général, nécessaire pour mettre le lecteur au courant de la question, nous aborderons l’examen général du livre de M. Rosenkranz, sans entrer dans des détails que ne comporte pas cet article.

  1. Allgemeine Æsthetik als Formwissenschaft, liv. I, ch. II, g 136 et suiv.