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a pu dire que le laid c’est le beau, après l’avoir réhabilité, et glorifié, devait réclamer aussi hautement sa place dans la science et dans la théorie. Elle devait signaler cette lacune, et elle-même essayer de la combler. C’est ce qui a eu lieu. Le principal théoricien de cette école, Fr. de Schlegel, a au moins l’incontestable mérite d’appeler sur ce point l’attention des théoriciens. Il s’étonne qu’on ne s’en soit pas encore aperçu. Il réclame une théorie du laid[1]. Lui-même se met à l’œuvre et propose une solution à ce problème, qu’il développe assez longuement. Nous n’avons pas à la reproduire, mais à constater ce fait : que le problème est définitivement posé. Le voilà introduit dans la science, il n’en sortira plus.

Tous les théoriciens de cette école, Jean-Paul, Novalis, L. Tieck, traitent encore plutôt la question par le côté qui les intéresse : le ridicule, le comique et l’humour. Mais un penseur véritable, à la fois métaphysicien et esthéticien, qui sert de transition à une autre école, L. Solger consacre au laid dans son esthétique, un examen fort sérieux, et à beaucoup d’égards d’un haut intérêt philosophique[2]. Je ne parle pas de Schleiermacher. Théologien, moraliste, dialecticien, logicien, érudit, historien de la philosophie et traducteur de Platon, il a touché à tous les problèmes et s’est aussi occupé d’esthétique. Sa pensée est en général trop vague et trop subtile, son point de vue est trop essentiellement celui du moraliste, du théologien ou théosophe, pour qu’il soit capable de voir nettement et d’aborder de front un problème aussi délicat et aussi difficile à bien définir que celui qui nous occupe.

Une nouvelle période vient de s’ouvrir pour la philosophie. Elle s’annonce comme très-favorable à l’art et à la science dont il est l’objet. Le penseur qui l’inaugure et le représente, Schelling, place l’art au sommet du développement de la pensée. Nous sortons avec lui du subjectif pour entrer dans l’objectif et l’absolu. Cet absolu, c’est l’identité des contraires ; il apparaît dans l’art comme opposition et comme accord de l’idéal et du réel. Le problème dont nous étudions la marche doit donc entrer dans une phase nouvelle. Déjà, dans la métaphysique du beau, le laid vient se placer nécessairement à côté du beau, comme terme négatif devant rentrer dans le terme positif et s’identifier avec lui tout en maintenant sa différence. Dans l’art, le laid n’apparaît pas sous des traits moins frappants, avec les problèmes qu’il suscite. Le monde est conçu comme poème divin et comme épopée divine, avec le fatum qui en motive les conflits et les catastrophes.

  1. Sammt. Werke. T. V, p. 14.
  2. Erwin, t. I, p. 248. Vorlesungen der Æsthetik, p. 101 et suiv.