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analyses. — h. joly. L’homme et l’animal.

puissances inférieures du corps. Aussi la différence entre elles va s’exténuant. Tout au plus pourrait-on dire « que dans l’homme c’est plutôt l’âme qui commande, et dans l’animal le principe central qui obéit » (p. 313). Et encore, comme une cause finale qui obéit n’est plus une cause finale, c’est moins d’une obéissance proprement dite qu’il s’agit, que d’une direction impuissante. Ainsi de deux chefs d’orchestre dont l’un est toujours écouté de ses musiciens dociles, et dont l’autre guide avec peine des exécutants mal exercés (cf. p. 313). Et voici la seconde conséquence : l’âme étant conçue comme le principe de la vie en même temps que de la pensée entre dans un commerce étroit avec l’organisme et doit partager ses vicissitudes. Elle se manifeste, il est vrai, dans la conscience ; mais elle ne commence pas avec la conscience. « Elle exerce son activité antérieurement aux manifestations de la vie consciente et volontaire » (p. 310). — « Il y a donc une période obscure de l’existence de l’âme » (p. 312), d’où elle sort sans doute par degrés, ce qui rétablit le passage de l’inconscience à la conscience. Il reste une dernière barrière, celle qui sépare l’âme des simples cellules. Mais pourquoi ne tomberait-elle pas à son tour ? les monades grossières qui aspirent et concourent à une vie supérieure ne peuvent-elles jamais passer au rang de monades directrices ? C’est précisément ce qui arrive, d’après M. Joly, dans les cas de scissiparité. Car « le musicien détaché d’un orchestre peut devenir chef d’orchestre à son tour » (p. 314). Ainsi se reforme la chaîne des choses. Ainsi coïncident l’universel mécanisme de la matière, et l’universelle harmonie de l’Idée.

Est-ce à dire maintenant que la thèse de la spécificité irréductible de l’homme ne puisse être soutenue ? Nullement, mais il faut bien s’entendre sur la méthode. La question peut être posée sur le terrain des faits et traitée scientifiquement, et la conclusion sera provisoire et relative : les faits connus ne témoigneront pas jusqu’ici du passage historique d’une certaine espèce animale à l’espèce humaine. C’est à ce point de vue, par exemple, que se place M. de Quatrefages dans un ouvrage tout récent[1]. On peut porter la question sur le terrain des principes, et la résoudre philosophiquement en s’appuyant sur le principe de discontinuité qui implique la négation de l’idée de substance. La conclusion sera critique : toute origine étant reconnue inscrutable, « on est conduit à voir dans les moments d’énergie attachés aux révolutions géologiques, des actes spontanés, des effets d’éjaculation de forces physiques, vitales, intellectives, inexplicables comme tout ce qui est premier et irréductibles par rapport à leurs précédents[2]. » Enfin on pourrait concevoir un troisième parti qui agréerait peut-être davantage aux purs Kantistes : ce serait d’abandonner aux savants le problème des origines historiques et de se restreindre en cette question comme dans les autres à ce qui fait le propre objet de la spéculation transcendante, savoir le problème de la fin morale.

D…
  1. L’Espèce humaine (Biblioth. scient, internat.).
  2. Renouvier, 3e essai de Critique générale.