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prouver que la différence entre l’instinct et la raison est une différence de nature et non de degré ; et, pour le métaphysicien pur, une différence de nature est un non-sens. Et il ne sert de rien de distinguer la conscience du mécanisme, de convertir les cellules de matière en monades spirituelles, et l’ordre des causes efficientes en un ordre inverse de causes finales ; les rapports des choses restent les mêmes, de quelque manière qu’on se représente les choses. Seulement l’évolution matérialiste devient l’évolution de l’idée ; Hegel reparaît derrière M. Spencer. Nul ne le sait mieux que M. Spencer lui-même, et les savants commencent à s’en douter[1]. Or M. Joly est un métaphysicien. Après avoir étudié les faits psychologiques, il veut déterminer la nature de leur principe substantiel. Mais alors, saisi par la logique des systèmes substantialistes, il est obligé, bon gré mal gré, de détruire comme métaphysicien l’édifice qu’il avait élevé comme psychologue, et de combler peu à peu les différences qu’il avait si laborieusement creusées de ses mains. Il ne serait pas équitable de trop reprocher cette volte-face à l’auteur, qui a fait d’ailleurs ce qui dépendait de lui pour l’atténuer ; car elle tient à la nature du sujet. Mais c’est précisément pour cette raison qu’elle est instructive ; elle vaut toute une démonstration ; c’est la morale de l’ouvrage : il ne sera pas inutile de s’y arrêter en terminant.

Pour démontrer l’existence de l’âme, M. Joly s’appuie naturellement sur la finalité des processus vitaux. Il commence par subordonner les mouvements intérieurs de l’organisme à l’action spéciale d’activités irréductibles aux forces physico-chimiques, et il loge en chaque cellule une sorte d’âme ou principe vital. C’est ce qu’il appelle le polyvitalisme. Puis, dépassant ce point de vue provisoire, il subordonne de même le concours de ces principes élémentaires à l’action d’un principe vital suprême, qui est l’âme proprement dite. Cette théorie est bien connue. Mais remarquons les conséquences. Voici la première : l’âme, étant reconnue à titre de cause finale, ne peut agir que par l’attrait qu’elle exerce, par le désir ou l’amour qu’elle inspire (p. 305). Or l’amour est un principe essentiellement égalitaire, qui ne tarde pas à mettre au même rang l’amant et l’aimée. Les cellules inférieures que séduit la perfection de la monade centrale participent donc à cette perfection. « Établir qu’une chose est la cause d’une autre, c’est établir que la première se retrouve dans la seconde à un état rudimentaire » (p. 307). Donc encore « si la vie tend à l’esprit, c’est qu’elle t est l’analogue de l’esprit. » L’âme n’est que « la plus élevée des cellules de l’organisme » qui réussit à se posséder plus que les autres (p. 309). Or cette conception s’applique à l’animal aussi bien qu’à l’homme. L’âme de l’animal et celle de l’homme sont également des monades, des monades centrales, des monades directrices se subordonnant de la même manière par l’attrait de leur supériorité même les

  1. V. une lettre très-curieuse et très-intéressante à cet égard de M. Naudin, insérée en appendice par M. Joly (p. 316).