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vira de base à des perfectionnements nouveaux, que s’il est fixé par la transmission héréditaire (70).

Examinons successivement ces trois facteurs de la sélection.

La concurrence vitale, dont le rôle est assurément considérable dans tous les règnes de la nature, ne peut expliquer pourtant la production des propriétés de pur agrément, qui n’accroissent en rien ou même contrarient et diminuent les chances de l’individu dans la lutte. Elle ne nous dira pas pourquoi un être est plutôt Carnivore qu’herbivore : car en quoi cela lui est-il plus utile ? « L’application du principe de la lutte pour l’existence doit être restreinte encore davantage, dans tous les cas où une modification apparaît, il est vrai, comme utile, mais seulement lorsqu’elle a atteint un degré considérable. » Tel est le cas des espèces qui imitent (mimicry) extérieurement les espèces mieux armées, afin d’échapper à leurs ennemis. Avant d’avoir pu atteindre un degré de ressemblance suffisant, elles auraient nécessairement succombé dans la lutte pour l’existence. Ajoutons que, à tous les degrés, à tous les ordres du règne organique les différents types morphologiques s’adaptent aussi bien aux diverses conditions d’existence (85). La concurrence vitale ne profite, presque jamais, que des modifications d’un ordre purement physiologique. Il est donc impossible de faire dériver partout la forme de l’utilité. Si la perfection de l’organisation a un rapport quelconque avec l’utilité, c’est surtout un rapport négatif. En résumé, la concurrence vitale n’est qu’un simple auxiliaire du principe interne, de l’idée directrice, qui préside à l’évolution des individus et des espèces. Mais ce principe réalise très-souvent ses effets sans un tel auxiliaire. Si certaines plantes doivent la coloration brillante de leurs fleurs à la séduction que le nectar exerce sur les insectes fécondants, d’autres, sans l’attrait du nectar et l’intervention des insectes, produisent des fleurs très-visibles. La sélection naturelle, si souvent célébrée dans le premier cas, n’a rien à voir avec le second.

La sélection opère, avons-nous dit, sur les modifications résultant de la variabilité. Si cette dernière est un principe rigoureusement mécanique, c’est-à-dire la résultante de causes purement fortuites, elle doit agir d’une façon indéterminée, et dans toutes les directions possibles, comme le hasard lui-même. Et dans chacune de ces directions, elle ne sera limitée que par les circonstances extérieures. À cette double condition seulement, « la variabilité offre les garanties suffisantes pour que la variante nécessaire à l’adaptation parfaite ne fasse pas défaut dans les conditions d’existence donnée » (94). Or les deux hypothèses sont contredites par l’expérience. Si la variabilité se produisait dans toutes les directions possibles, un éleveur pourrait modifier les individus à son gré et obtenir tous les produits qu’il lui plaît, sous la seule condition de ne pas compromettre par la modification demandée les conditions d’existence du type sur lequel il opère : et mille exemples prouvent le contraire (96). La variabilité n’est pas non plus illi-