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l’explication d’un autre ordre de phénomènes. C’est là évidemment le caractère d’une science qui évolue, et qui cherche encore ses véritables bases : et c’est justement dans ces conditions que l’expérimentation ne peut accepter de théories que celles qui favorisent sa marche et son extension de plus en plus grande.

La théorie de Weber réunit d’une manière extrêmement naturelle les phénomènes de l’électricité statique et ceux de l’électricité dynamique ; mais elle se montre particulièrement rebelle à l’expérimentation. La loi fondamentale qu’elle invoque devra sans doute se passer à jamais de vérification directe. Je dois ajouter que je n’ai pu découvrir, dans les mémoires de Weber, un seul fait réellement nouveau découvert par la théorie, et vérifié expérimentalement. J’en augure malgré moi que nous sommes peut-être en présence d’une conception stérile au point de vue expérimental ; et je dois dire que si cette crainte était justifiée, la théorie nouvelle, malgré son originalité incontestable, se trouverait condamnée dès sa naissance.

Nous objectera-t-on que l’expérimentation est le moyen, non le terme de la science, qu’une idée générale se suffit à elle-même, et n’a pas besoin d’être accompagnée de vulgaires découvertes pour imposer l’intérêt et l’attention de tous ? D’accord ; mais encore faut-il, pour être acceptée, que cette idée générale soit intelligible. La nature des choses est, de soi, une notion fort obscure, et sous prétexte d’en approcher, les physiciens ne peuvent renoncer à leurs méthodes et consentir à se payer de mots. Ni les partisans de l’action au contact et du milieu universel, ni les promoteurs de l’action à distance, dès qu’ils sont obligés de serrer de trop près leur sujet, ne peuvent sortir d’un symbolisme analytique, sur lequel l’imagination n’a absolument aucune prise, et qui n’éclaircit guère nos idées. La matière s’évanouit entre leurs mains comme un rêve : leur effort n’aboutit qu’à une abstraction sans corps et sans réalité.

La matière inerte, étendue, résistante, impénétrable, considérée comme substance opposée à la substance pensante, n’a plus de place aujourd’hui dans les théories physiques. Ces propriétés, jadis caractéristiques, ne nous représentent plus que des sensations spéciales que les corps nous font éprouver. Pour conserver à leur science la rigueur qu’elle emprunte à l’usage des méthodes analytiques, les mécaniciens ont dû substituer aux corps réels, des êtres imaginaires : le solide rigide, le fluide parfait, créés par des définitions. Ils ont emprunté à la psychologie l’idée de force, et résumé, par la notion de masse, les sensations que nous font éprouver les corps. La force et la masse ont été définies analytiquement comme des grandeurs mesurables, de manière à expliquer les lois du mouvement, lequel est le fait palpable, réellement expérimental. Mais ces définitions ne nous éclairent pas sur la nature de la masse, dont nous n’avons pas conscience, et ne nous disent pas ce qu’est la force en dehors des êtres psychologiques comme nous.

Les physiciens acceptent en général sans les discuter les idées, les