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cipes de la volonté. Elle participerait de la volonté et de la raison, cherchant si l’une doit être élevée au-dessus de l’autre, ou si toutes deux doivent être mises au même rang, si elles doivent être ramenées à l’unité, et de quelle manière. Elle renfermerait et des éléments scientifiques, et des éléments religieux ; et elle aurait pour mission spéciale de déterminer les rapports qui existent entre ces éléments. Dès lors, sans empiéter en aucune façon sur les sciences ou les religions positives, qui, pour elles, constituent les faits, elle aurait sa place légitime dans une sphère distincte, où résideraient les principes de la raison et de la volonté.

Cette conception de la philosophie explique et justifie le mélange de symétrie et d’incohérence que présente cette forme de la spéculation humaine. Nul ne s’étonne que l’art et la religion ne progressent pas d’une manière contenue et méthodique. Nul ne songe à nier la valeur de l’art, sous prétexte que les œuvres de Phidias n’ont pas été égalées après lui, ou la valeur de la religion, sous prétexte qu’elle est stationnaire ou sujette à la décadence. Or, si dans la philosophie, l’élément rationnel ne fait qu’un avec un élément mystérieux, propre à la volonté libre et infinie, on ne peut retourner contre elle l’irrégularité invincible qui paraît dans sa marche. Cette irrégularité de développement, moindre d’ailleurs pour la philosophie que pour l’art et la religion, est chez elle, comme dans les domaines voisins, la suite naturelle et légitime de l’intervention de la liberté.

La transcendance relative de la philosophie explique de même ce singulier phénomène, qu’à travers tous les progrès des sciences positives, la plupart des grandes solutions essayées même par les anciens sont, en somme, dans leurs principes essentiels, demeurées possibles. Certes, la forme et l’expression de l’hylozoïsme, du mécanisme ou du dualisme ne peuvent demeurer ce qu’elles étaient chez un Thalès, un Démocrite ou un Platon ; mais aujourd’hui encore, on voit des philosophes ramener les choses, soit à une force intelligente et en même temps inconsciente, qui rappelle la matière vivante de Thalès, soit à une pluralité infinie de forces aveugles qui rappelle les atomes de Démocrite, soit à une opposition du réel et de l’idéal qui rappelle le platonisme. Jusque chez les philosophes les plus versés dans les sciences positives et les plus soucieux de mettre leur métaphysique en accord avec les faits, nous voyons se produire des théories qui, dégagées de leur enveloppe scientifique, ne diffèrent guère des théories antiques que par un degré supérieur de précision, de méthode et de développement. Il est clair que la sélection s’exerce beaucoup moins dans le domaine de la métaphysique que dans celui des sciences positives. Quel critique circonspect oserait préjuger les