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des choses étrangères à l’homme, et ainsi on y distingue très-légitimement les doctrines et leurs auteurs. Ceux-ci peuvent nous intéresser, alors que celles-là nous paraissent rudimentaires ou erronées. Car la source de l’intérêt qu’a pour nous l’histoire de l’esprit humain, c’est la parenté de nature que nous sentons entre nous et nos devanciers, et cette parenté peut se manifester dans la forme de la science à travers la diversité des résultats. Mais la philosophie n’est pas tournée vers les choses extérieures, elle a en définitive pour objet l’esprit humain lui-même ; elle est le regard de la conscience et de la réflexion promené sur le monde intérieur. Ici la doctrine et l’auteur ne font qu’un, et ne diffèrent que comme le conscient peut différer de l’inconscient. On ne voit donc pas comment l’histoire de l’esprit antique pourrait conserver de l’intérêt, si la philosophie ancienne, comme telle, en était dépourvue. Pour que nous nous retrouvions dans le philosophe, il faut que nous reconnaissions nos idées dans sa philosophie, qui ne fait qu’un avec lui-même.

Funeste à l’histoire de la philosophie, qu’elle dépouille de sa valeur, la thèse rationaliste n’est pas moins grave à l’égard de la philosophie elle-même.

Cette thèse met la philosophie et la science positive en présence l’une de l’autre sur le même terrain. Celle-ci va du multiple à l’un, celle-là de l’un au multiple. Sans doute, à l’origine, les lois empiriquement établies sont si peu générales, et les principes métaphysiques sont si peu développés, que l’esprit ne songe pas à se demander dans quelle mesure se concilient les inductions de la science et les déductions de la philosophie. Mais, grâce à leurs progrès respectifs, science et philosophie arrivent à se joindre et à se confronter mutuellement. Or, s’il y a désaccord, il n’est pas douteux que c’est la philosophie qui succombera. La raison se met du côté où elle trouve la démonstration la plus rigoureuse ; et la métaphysique, avec ses principes transcendants et ses termes mal définis, ne peut égaler la force et la précision d’un raisonnement fondé sur des faits, et réglé sur le simple principe des causes efficientes. Quel est, dès lors, le rôle qui restera à la métaphysique ? On admettra ses conclusions, quand elles seront celles-là mêmes de la science ; on conviendra qu’elle dit vrai, quand elle se bornera à répéter ce que la science démontre. Encore ajoutera-t-on que dans la bouche du métaphysicien, l’assertion n’a aucune valeur parce qu’elle est destituée de ses preuves légitimes. Et si l’on tolère la métaphysique, ce ne sera qu’à titre de servante de la science, admise à lui suggérer çà et là des hypothèses instigatrices.

En un mot, la philosophie qui prend le nom de science descend