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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

s’être posé en principe pendant le moyen-âge, appelle une conciliation que cherche encore l’esprit moderne. Celui-ci flotte, en définitive, entre l’idéalisme et le matérialisme ; il ne sait comment passer, ici, du sujet à l’objet, là, de l’objet au sujet.

L’histoire, telle qu’elle nous est donnée, apparaît donc comme un développement et un progrès sans commencement ni fin ; c’est l’action et la réaction méthodique de deux forces de plus en plus inégales sans doute, mais toujours présentes l’une et l’autre ; c’est une unité à deux faces, qui serait entièrement anéantie, si l’une de ces faces venait à disparaître.

Telles sont les principales vues de M. Zeller sur le point de départ, la loi d’évolution et le terme de l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire, d’une manière générale, sur le progrès en philosophie. Ce progrès est, selon M. Zeller, régulier et nécessaire, bien qu’il ait ses lois spéciales, compliquées et mélangées de contingence, comme l’esprit lui-même. Le trait distinctif de cette doctrine, c’est de ranger la philosophie tout entière parmi les sciences proprement dites, en n’établissant, entre celles-ci et celle-là, que des différences spécifiques. Les sciences ordinaires ont pour objet certaines portions ou certaines faces de la réalité : la philosophie a pour objet la réalité entière, considérée comme un tout un et cohérent.

Certes l’exposition de M. Zeller est excellemment de nature à nous orienter dans cette variété infinie de doctrines, à nous faire mesurer la distance qui sépare un Platon d’un Parménide, un Kant d’un Aristote, à nous faire démêler telles conceptions, surtout telles méthodes définitivement abandonnées, telles autres, au contraire, décidément adoptées et victorieuses dans la lutte pour l’existence. M. Zeller aura-t-il néanmoins entièrement triomphé d’une critique qui, elle aussi, semble avoir subi avec succès l’épreuve de la sélection naturelle ?

Aujourd’hui, comme au temps des Sophistes, on reproche aux philosophes de n’être pas d’accord sur les principes mêmes de leur science, sur l’objet qu’elle étudie, sur la méthode qu’elle doit employer, sur les résultats définitifs qu’elle a pu obtenir. Or, nous contenterons-nous de répondre que ce reproche vient d’une vue superficielle des choses, et qu’un regard plus pénétrant démêle l’harmonie et le progrès sous l’apparence de la contradiction et de l’immobilité, lorsqu’en fait nous voyons les philosophes remettre perpétuellement toutes choses en question, se demander, tantôt si le principe de causalité est un principe nécessaire ou une habitude d’esprit, tantôt, si le libre arbitre est une apparence subjective ou une réalité ? Y a-t-il une question qui soit véritablement résolue, lorsque sont pendantes