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Cependant le second principe, qui est l’antithèse du premier, n’est pas plus que lui adéquat au tout ou à l’infini. Servi par son caractère exclusif (Einseitigkeit) tant qu’il se bornait à lutter pour l’existence, il rencontre, dans ce caractère même, un obstacle imprévu et insurmontable, lorsqu’il prétend suffire à discipliner tous les éléments de la réalité. Une troisième démarche de l’esprit devient donc nécessaire pour ressusciter le premier principe dans ce qu’il avait de légitime, tout en maintenant le second, auquel l’insuffisance du premier a donné naissance.

Cette troisième démarche de l’esprit consiste à chercher un principe, non plus opposé, mais supérieur, sous lequel puissent se coordonner et se réconcilier les principes antagonistes. Ici encore, l’esprit, qui marche sur un terrain nouveau pour lui, essaie plus d’une direction avant de rencontrer la voie qui mène au but. Il doit arriver cependant que, dans le nombre des principes qu’il essaie, il finisse par s’en rencontrer un qui réponde à la question proposée. Dès lors, l’esprit a fait un pas vers la vérité, vers lui-même. Il a pleinement réalisé une face de son essence. Il est sorti de l’ordre des abstractions pour entrer dans celui des réalités : il a fixé sous forme de loi et de nature une portion de sa spontanéité libre.

Il n’est point, toutefois, arrivé au but que lui marque son essence idéale. Car la thèse et l’antithèse qu’il a conciliées en une synthèse ne représentent point les deux pôles de la réalité tout entière, mais les deux faces de l’objet restreint sur lequel se portaient ses regards. Il a exploré complètement le terrain sur lequel il se trouvait situé, mais il se trompe en prenant son horizon pour la limite des choses. Il y a, par delà le pays où les circonstances l’ont placé, d’autres contrées, non moins étendues et non moins riches. Une seconde phase va donc commencer, dans laquelle l’esprit érigera en thèse le résultat acquis, opposera à cette thèse une antithèse, et réconciliera cette thèse et cette antithèse dans une synthèse nouvelle. Cette loi doit peu à peu acquérir la fixité et la rigueur, à mesure que l’esprit, s’en pénétrant davantage, réussit mieux à s’épargner les tentatives condamnées d’avance.

Ainsi se produit, d’une manière de plus en plus régulière, une dialectique de la liberté, créant et éliminant tour à tour, pour réaliser l’idée d’une science où le tout des choses serait compris dans son unité. Cette idée, à l’origine, n’existant dans l’esprit que sous la forme la plus abstraite, ne peut être pour lui qu’un principe régulateur, non un principe constitutif : elle peut agir comme aiguillon, non comme guide. Mais à mesure que d’abstraite elle devient concrète, à mesure qu’elle se convertit en faculté vivante de l’esprit, elle