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boutroux. — zeller et l’histoire de la. philosophie

raisonnement isolé de l’observation : elle implique, en toute circonstance, le concours et la pénétration mutuelle de ces deux procédés ; et c’est la simple prépondérance, non la présence exclusive de l’un ou de l’autre qui lui imprime son caractère général.

L’histoire proprement dite recherche : 1° les faits, 2° leurs rapports, en tant qu’ils peuvent s’induire immédiatement de l’examen des faits eux-mêmes. L’observation dominera naturellement dans la première recherche, le raisonnement dans la seconde.

I. En ce qui concerne la détermination des faits, le nœud du problème philosophique qui préside à la question de la méthode se trouve dans la théorie de la connaissance. Or, selon M. Zeller[1], c’est en suivant la trace de Kant que nous pourrons, à cet égard, trouver la vérité. Kant a posé le principe qu’il ne faut jamais perdre de vue, savoir que le sujet a nécessairement une part, et une part très-large dans la connaissance. Faut-il aller plus loin et soutenir, soit avec les successeurs de Kant, qu’il n’y a pas d’objet distinct de l’esprit, soit du moins, avec Kant lui-même, que l’objet est inconnaissable ? M. Zeller ne le pense pas ; et il indique de quelle manière on pour rait, sur ce point, rectifier la théorie de Kant. D’abord, on peut à priori se demander si, en vertu de l’unité nécessaire des choses, il n’est pas vraisemblable qu’il y a harmonie, proportion entre l’objet à connaître et les conditions subjectives de la connaissance, de telle sorte que les lois de notre esprit soient précisément telles qu’elles doivent être, pour nous procurer une vue exacte de la réalité. Ensuite, on peut, par voie de comparaison et d’expérimentation, faisant varier tour à tour l’objet et la source de la connaissance, éliminer peu à peu de nos représentations l’élément subjectif, et approcher ainsi, de plus en plus, de l’objectif pur. En tout cas, en histoire, il ne s’agit que d’un objectif relatif, il n’est point question d’une chose en soi supérieure au temps et à l’espace, et ainsi l’élimination de la part du sujet n’y soulève point le grave problème de l’idéalité des conditions de l’expérience.

L’application de ces principes à l’histoire constitue la première partie de la méthode critique, laquelle consiste à recueillir les témoignages, et à y poursuivre aussi loin que possible le départ de ce qui vient des témoins, et de ce qui vient des choses elles-mêmes.

La méthode critique, dans son application à la recherche des faits, comprend trois opérations, qui sont le rassemblement, la classification et l’explication des textes historiques.

1. Le rassemblement des textes doit d’abord être complet, c’est-

  1. Ueb. d. Bedeut. u. Aufg. d. Erkenntnisstheorie, Disc. acad. Heildelberg, 1862.