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l’effort de sa pensée consiste à démontrer que sa doctrine est plus vraie que celle qu’il veut remplacer, parce qu’elle est plus simple.

Lavoisier opposa à la doctrine du phlogistique les résultats de l’emploi de la balance qui a créé la chimie moderne. Sûr de ses expériences, il attaqua de front la doctrine reçue en lui opposant cet argument. L’intervention du phlogistique n’est point nécessaire pour expliquer les faits ; c’est une supposition à rejeter parce que, loin de simplifier la théorie, elle la complique[1]. C’était une application directe de la règle de Newton et de Fresnel.

La physiologie moderne n’obéit pas moins que l’astronomie, la physique et la chimie, au besoin rationnel de simplifier la science. Aux actions indéfiniment diverses d’une force vitale inconnue, il s’agit de substituer un petit nombre de lois rattachées aux propriétés d’un petit nombre d’éléments. « Les progrès de cette science, dit « M. Claude Bernard, tendent à déterminer les propriétés et les conditions d’existence des éléments organiques qui constituent les radicaux physiologiques de la vie. » Et ailleurs :. « l’objet de la physiologie générale sera de distinguer expérimentalement trois éléments absolument inséparables (le nerf sensitif, le nerf moteur, et le muscle) et de montrer que c’est de leurs propriétés physiologiques élémentaires que se déduisent les explications de tous les phénomènes nerveux les plus complexes ? » L’ouvrage entier dont ces lignes sont extraites est la confirmation des thèses que ces lignes expriment[2].

Voilà donc des savants connus par le nombre et la valeur de leurs découvertes qui nous livrent eux-mêmes leur secret, en nous indiquant les principes directeurs de leurs travaux. Ce sont, pour ainsi dire, des horlogers qui ouvrent une montre et mettent à nu sous nos yeux le ressort moteur du mécanisme. D’autres savants se bornent à suivre le courant, à obéir à l’instinct de la raison et à l’impulsion de leurs devanciers, sans se rendre compte d’où vient l’esprit dont ils sont animés ; mais, lorsqu’ils se croient de purs observateurs, lorsqu’ils affirment se placer devant les faits, en l’absence de tout principe directeur de la pensée, ils se font illusion. Leur œuvre rend témoignage contre eux. Dès qu’ils s’élèvent à une théorie quelconque, ils cherchent l’unité dans quelques-unes de ses manifestations. Tout le monde admet que la généralisation est un progrès de la science ; or, généraliser c’est tendre à l’unité. L’on serait mal venu

  1. Leçon publique de M. le professeur Marignac, faite à Genève, le 2 mars 1875.
  2. Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France, pages 9 et 15.