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d’accord avec les faits. Il est chez des animaux des organes qui ne remplissent aucune fonction appréciable. La baleine a des dents qui ne percent pas les gencives ; les mâles des mammifères ont des ébauches de mamelles qui ne produiront jamais de lait. De quelque manière qu’on interprète ces faits, il reste acquis que les êtres organisés présentent des particularités qui semblent la marque de leur espèce et ne se rapportent point directement à leur vie individuelle. Il n’en reste pas moins vrai que si on cessait de rechercher le but des organes, c’est-à-dire leur rapport à l’entretien de la vie, l’anatomie et la physiologie seraient arrêtées dans leur développement. On peut même dire que, dans un très-grand nombre de cas, c’est la recherche du pourquoi qui a fait découvrir le comment des phénomènes. La proscription des causes finales n’a été que le résultat d’une réaction inintelligente qui, comme il arrive si souvent, a fait proscrire l’usage à cause des abus. Les biologistes, quelle que soit leur théorie philosophique, continueront à prendre la finalité pour le principe directeur de leurs hypothèses.

Au-dessus des phénomènes de la vie simple, qui ne se manifeste que par des mouvements, la science rencontre des phénomènes d’un autre ordre : la sensation, l’intelligence, la volonté, qui ne répondent à aucune conception objective et sont irréductibles à des idées sensibles. Nous n’avons la notion des phénomènes de cet ordre que par la conscience des modes de notre être propre. Si l’on suppose une intelligence purement objective dont les conceptions seraient bornées aux données de la perception externe, il serait impossible de lui donner aucune idée des faits psychologiques, de même qu’il est impossible de donner à un aveugle-né la moindre idée des couleurs. Les données de la conscience ouvrent un vaste champ d’étude. Ces études n’ont pas pour objet l’homme seul, mais les animaux, si l’on attribue aux animaux des éléments d’intelligence et de sensibilité. L’étude des phénomènes psychiques chez les bêtes présente une difficulté extrême. En effet, on n’est pas fixé sur la question de savoir si les animaux ont, en quelque degré, une conscience semblable à celle de l’homme. La difficulté est d’autant plus grande que, selon les analyses les plus attentives, l’activité personnelle, constituée par un élément de liberté, est chez l’homme la condition de la conscience. Il semble impossible de refuser aux animaux des éléments de sensation et d’intelligence ; il semble non moins impossible d’admettre l’existence de sensations qui ne seraient pas senties et d’idées qui ne seraient pas conçues. Mais si l’on affirme la conscience des animaux, et si l’on admet qu’un élément de liberté est la condition de la conscience, on est conduit à effacer la