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périodiques.La filosofia delle scuole italiane.

la mesure de l’avenir, c’est-à-dire de s’appuyer sur les faits, M. Bertinaria prend l’idéal comme critérium de tout ce qui se développe dans le temps. Quel est donc cet idéal ? Le philosophe l’a déjà fait connaître jadis dans ses leçons sur la philosophie de l’histoire prononcées à Turin, en 1863 (il remplaçait alors Mamiani)[1]. C’est la constitution d’un immense organisme moral embrassant l’humanité tout entière dans une seule société civile, société au sein de laquelle les États ne cesseront pas de subsister comme organes partiels, mais réduits au rôle de policiers et de justiciers ; simples spectateurs, en quelque sorte, de ce que fera chez eux la société civile universelle. Il est nécessaire, pour que cet idéal soit réalisé, que les associations dépassent les barrières des États et prennent une extension dont nous n’avons aucune idée. Mais quand l’initiative individuelle aura été, pendant quelque temps, laissée libre en fait d’éducation, d’industrie, de commerce, etc., elle se chargera sans peine du gouvernement civil du monde. En tant que gouvernant les âmes cette société sera l’Église une et universelle ; en tant que protégeant le droit des individus dans chaque nation, elle se divisera en États. Hegel pensait que la société politique est un moment du développement social supérieur à la société civile, que la première dépasse et embrasse l’autre ; nous voici ramenés à la conception de Fichte, d’après laquelle, au contraire, la société civile ou le libre groupement des individus comme hommes privés est appelée à se subordonner les agrégats historiques. Ainsi le gouvernement spirituel et économique de la terre par une ou plusieurs internationales, voilà l’idéal de M. Bertinaria. « Ce n’est pas là une utopie, puisque dès à présent nous voyons dans les États les plus civilisés, les différentes associations se rechercher, et que quelques-unes d’entre elles se répandent déjà dans plusieurs États, où elles groupent fraternellement ceux qui les composent, et leur font trouver une nouvelle patrie commune partout ou elles établissent leur siège. » Il semble résulter de là que l’auteur va demander la subordination de l’État à l’Église ; mais non, car il faut distinguer entre l’état provisoire de l’humanité et son organisation définitive. Dans la situation actuelle l’Église est loin d’être conforme à son idéal ; elle s’est fermée-, elle est devenue société partielle et monarchique ; il faut donc que l’État garde vis-à-vis d’elle un certain droit d’ingérence. Car il est souverain, lui aussi, dans sa sphère. L’Église n’est donc plus devant lui pour le moment qu’ « une association comme toutes les autres, sur le même rang que toutes les autres associations religieuses, scientifiques, artistiques, individuelles. En somme, la séparation est dialectique et non sophistique ; mais en attendant qu’elle puisse se réaliser entièrement, elle n’exclut pas le droit de surveillance. Ou nous nous trompons fort, ou cette conception a aussi peu de chances de plaire aux croyants qu’aux politiques. Cependant M. Berti-

  1. Voir les Principes de biologie et sociologie publiés par le même auteur vers 1865 (in-8, sans indication de lieu ni de date). Il est bon de dire que cette biologie est tirée de l’idée de l’Être absolu.