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Carbonel (l’abbé). — Essai de philosophie classique, 1876.

Un ouvrage didactique se recommande généralement à la jeunesse par la clarté de l’exposition et l’exactitude scientifique de la doctrine. Celui-ci n’est point de nature à satisfaire le lecteur. La philosophie de ce manuel se réduit à une logique vide et stérile : les distinctions verbales, les définitions arbitraires, les divisions multiples et confuses, tout rappelle un enseignement philosophique aujourd’hui oublié. On croit avoir renouvelé la théorie des idées, la question du langage, le problème de l’induction, celui de l’habitude à propos duquel on se flatte d’avoir pu « changer la face de la psychologie » en revenant à une doctrine de saint Thomas : et l’on ignore complètement les travaux des contemporains, les récentes découvertes de la linguistique, tant de monographies remarquables sur chacun des sujets annoncés.

Ce manuel se termine par un résumé d’histoire de la philosophie. Dans un si court espace, l’important c’est de mettre en relief avec impartialité les grandes idées des systèmes opposés qui se disputent l’empire des esprits. Il est naturel d’ailleurs que l’historien ait ses préférences et les indique. Un poète citera plus volontiers Platon qu’Aristote ; un savant s’éprendra de passion pour Descartes, un métaphysicien pour Leibniz ou Kant : M. l’abbé Carbonel a fait, lui aussi, son choix ; il préfère saint Thomas et le moyen-âge. C’est à cette disposition d’esprit qu’il convient sans doute de rapporter les polémiques inopportunes qui gâtent cette partie de l’ouvrage. Un philosophe a-t-il bonne grâce à excuser le supplice de G. Bruno sur ce qu’il professait « des doctrines aussi immorales et aussi antisociales qu’elles sont fausses, impies et blasphématoires » ? Pourquoi appliquer l’ostracisme à des penseurs tels que Pascal, dont on déconseille la lecture sans mystère ni ombre de rancune, ou Kant qui avait en lui cependant, on nous l’accorde, « l’étoffe d’un grand philosophe » ? Des esprits distingués du xviiie siècle sont aussi quelque peu maltraités ; on voudrait du moins que ce fût avec les armes de Voltaire.

Un dernier mot. La « philosophie classique, » suivant l’auteur de cet ouvrage, est « celle qui recueille les vérités universellement reconnues de tout temps, » c’est-à-dire la philosophie de l’Église : « ne pouvant enseigner l’erreur, elle ne peut rien enseigner qui ne s’accorde avec la foi catholique. » Les vérités de cette philosophie ont cette singulière fortune de n’être point dues au travail de la réflexion : « on les trouve au berceau du genre humain. » Cette philosophie révélée a sa devise connue depuis longtemps, et l’auteur la reproduit avec une confiance digne d’une meilleure cause : Philosophia ancilla theologiæ.

A. D.