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l’humanité entière (die organisirte Gesammtheit der Menschen), L’homme, être doué de réflexion, est l’ouvrier d’un œuvre divin : supérieur à la divinité inconsciente parce qu’il possède la faculté de connaître ce corps immense où tout être puise l’existence, la vie et le mouvement, il est appelé à gouverner l’univers (das Weltall zu beherrschen).

Ce processus infini des choses, qui a pour terme l’organisation universelle de l’humanité et pour moyen une accumulation de conscience indéfiniment croissante sous la triple forme du vrai, du bien et du beau, serait impossible dans un univers fini. Si le monde était limité dans l’espace, la pensée scientifique de l’humanité manquerait un jour d’aliments. S’il l’était dans le temps, le développement de l’humanité et par suite du monde lui-même serait brusquement arrêté et anéanti. De toute façon il faut que l’Univers soit un incommensurable.

Notre imagination essaie vainement, il est vrai, de se représenter l’infinité d’une chose dans l’espace : l’espace limite cette chose qu’il contient. Ce n’est pas résoudre la difficulté que de subjectiver ce concept, et d’en faire avec Kant une forme à priori de la sensibilité : il reste toujours que dans un espace donné, subjectif ou objectif, l’existence d’une chose qui ne soit pas limitée par cet espace même est inconcevable, contradictoire, antinomique. La démonstration de l’infinité de l’univers doit donc être abandonnée, si l’on ne trouve moyen d’éliminer ce concept d’espace. C’est ce curieux effort que tente M. L. Jacoby dans une ingénieuse analyse psychologique, suivie d’une exégèse historique de cette notion.

L’observation montre d’abord que la notion d’espace n’est rien de plus pour le sens commun que l’idée d’une chose incorporelle remplie par les corps, l’idée d’un grand récipient vide des phénomènes. Ainsi, d’un globe métallique suspendu au milieu d’une salle tout le monde dira : « Il est dans l’espace. » Mais plongez ce même globe dans un vase rempli d’eau, combien trouverait-on de personnes pour dire : « Oui, il est encore dans l’espace s ? L’enfant à coup sûr, si on l’interroge, répondra : « Non, il n’est plus dans l’espace ; il est dans l’eau. » Ce fait si simple nous met sur la voie de la véritable explication : l’idée d’espace se confond avec celle de milieu vide et imperceptible.

Or, dans la réalité rien ne répond à cette représentation naïve. Disséquez le corps humain, par exemple, selon les règles de l’anatomie microscopique : partout vous trouverez des liquides et des molécules matérielles. Imaginez que l’on creuse la terre de l’extrémité d’un diamètre à l’autre, le résultat sera le même. Par un point donné du globe faites passer une droite horizontale, cette ligne ira se perdre dans l’atmosphère terrestre. Donc sur notre planète au moins il n’y a rien qui soit dans un espace : tout se trouve, au contraire, dans quelque autre corps, jamais au. sein d’une substance incorporelle. La terre elle-même, en dépit des conceptions du vulgaire, ne se meut pas davantage à travers un espace vide. Dans toutes les directions verticales ou horizon-