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méprises qui ne peut s’expliquer, chez l’illustre physiologiste, que par le manque d’éducation métaphysique, l’idée du rapport catégorique et l’idée du rapport partitif se brouillent dans sa tête, et il prend l’un pour l’autre ; et il est amené par là à cette conséquence monstrueuse, dans laquelle ses disciples à hautes prétentions philosophiques de l’école positiviste l’ont suivi moutonnièrement, qui est de voir l’objet de l’anatomie générale dans les tissus, évidemment par la belle raison que les tissus sont généralement répandus dans toutes les régions de l’organisme, et de voir celui de l’anatomie spéciale dans les organes et les appareils, sans aucun doute par cette considération admirable que ceux-ci n’occupent individuellement que des portions restreintes et circonscrites du corps !

C’est absolument comme si les Bichat de la chimie, après avoir eu la pensée sublime de donner pour fondement à la classification des corps leurs degrés de composition, eussent raisonné ainsi : Tous les corps sont simples ou composés de corps simples, d’où il appert que le corps simple est en tout et partout, libre ou en composition, tandis que le corps composé est seulement quelque part ; nous en concluons que le corps simple est un corps général, et que partant son étude doit constituer la chimie générale ; et, réciproquement, considérant l’existence limitée du corps composé, nous instituons celui-ci objet de la chimie spéciale ! Et, pour en revenir à notre premier point de comparaison, c’est encore comme si les logiciens, faisant un raisonnement semblable, avaient vu la grammaire générale, non dans la philosophie de la grammaire, mais dans la science des premiers éléments du langage, c’est-à-dire des sons articulés, c’est-à-dire en la confondant avec la phonétique, tandis que mots et phrases auraient été relégués par eux dans le domaine inférieur de la grammaire spéciale ! Risum teneatis. Ah ! il faut nous habituer à la pensée que les grands hommes de la science n’ont pas été exempts de grandes erreurs, et que nos plus illustres physiologistes, notamment Bichat, et sans en excepter Cl. Bernard, ont laissé échapper parfois de grosses sottises. Peut-on traiter autrement que d’ânerie philosophique cette bévue à laquelle je suis en train de faire le procès, qui, simple inattention peut-être chez Bichat, a été reprise en sous-œuvre par des physiologistes théoriciens, tels que Ch. Robin et Littré, et érigée par eux en dogme formel[1] ? Certes, ce n’est pas sans dommage pour la science qu’une erreur aussi lourde a pu prendre naissance et acquérir force de loi. Je vais montrer en gros ses conséquences dans un rapide aperçu.

  1. Voir le Dictionnaire de Médecine, de Chirurgie, de Pharmacie, etc., par E. Littré et Ch. Robin, à l’article Anatomie générale.