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loi selon laquelle l’homme doit vivre pour être heureux est une loi d’homogénéité et non d’hétérogénéité ; le bonheur a pour condition une double homogénéité, celle de la vie de l’homme individuel avec elle-même, celle de la vie de l’homme individuel avec celle de tous les autres. Or, il ne semble pas contesté que l’homme soit un être logique et qu’il souffre de ses contradictions et que l’homme soit un être sociable et qu’il souffre de ses luttes avec ses semblables.

D’autre part, si c’est peut-être en un sens rabaisser la loi morale que de lui donner pour but le bonheur, ce n’est pas au moins la dénaturer, car il n’y a pas un seul système de morale à ma connaissance qui n’aboutisse au bonheur du sage. Je ne voudrais pas ici entrer dans la discussion de la formule véritable de la loi morale, je veux seulement prendre pour base une théorie universellement acceptée. Ce sera ensuite au lecteur, si j’ai pu lui donner l’envie de pousser plus loin, à chercher lui-même quelle est, parmi les doctrines morales, celle qui satisfait le mieux ou plutôt qui satisfait seule aux conditions de l’établissement pratique de l’homogénéité. S’il la découvre, il ne me semble pas douteux qu’il sera en possession de la véritable, et je ne crois pas qu’il ait après bien loin à chercher pour découvrir, en poursuivant son analyse, la véritable philosophie.


I


L’enfant à sa naissance est un organisme capable de répondre par des mouvements aux excitations qui lui viennent de l’extérieur. La nature de ces mouvements est déterminée par les excitations d’abord et ensuite par la constitution naturelle de l’enfant ; à ces premiers facteurs se joignent bientôt les habitudes qu’il contracte, les sentiments qu’il éprouve, les idées qu’il acquiert ; plus tard enfin, et en dernier lieu, quand le volume mental s’est accru, que l’enfant est devenu capable de raisonner et de choisir, le libre arbitre peut entrer en jeu et donner aux actions une forme véritablement personnelle. Ainsi se forme peu à peu un caractère comme par couches concentriques et superposées.

Essayons de décrire chacune de ces couches diverses. Si l’enfant vivait seul, tant qu’il ne posséderait point le libre arbitre, toutes ses actions seraient des réponses aux excitations résultant uniquement de son organisme physique. L’enfant, produit de ses parents à un moment donné du temps, aurait un caractère formé de la caractéris-