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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

son doute sur la certitude subjective des pensées, mais seulement sur leur vérité objective. S’il dit dans la Ireméditation : « Que sais-je s’il n’a point fait que je me trompe aussi toutes les fois que je fais l’addition de 2 et de 3, ou que je nombre les côtés d’un carré, ou que je juge de quelque chose encore plus facile, si l’on se peut imaginer rien de plus facile que cela[1] ? » Il doute de la valeur de ses opérations discursives, de l’addition de 3 et de 2, de la numération des côtés réels d’un carré réel, non de la définition d’un carré en tant que définition. Il n’a jamais douté que la figure de quatre côtés eût quatre côtés, la valeur des proportions identiques n’a rien d’hypothétique à ses yeux. « Je n’ai nie, dit-il, que les préjugés et non point les notions comme celle-ci (la pensée), qui se connaissent sans aucune affirmation ni négation[2]. » Il croit au contenu idéal des notions, à la valeur des propositions définissantes, où l’attribut ne fait que répéter le sujet et ne préjuge rien sur la réalité de son existence. Il n’entre pas dans sa pensée de douter des essences, mais des existences. Il n’y a donc aucune contradiction à excepter de son doute le principe d’identité, les propositions essentielles, les jugements analytiques, et à ne le faire porter que sur la valeur des propositions existentielles, des jugements synthétiques, comme nous les appelons aujourd’hui. Il veut bien enlever de son esprit tous les préjugés, mais il ne veut pas renoncer à l’esprit lui-même. La proposition : Pour penser il faut être, n’est pas même appelée par lui un jugement, mais une notion. Pour Descartes, c’est là un jugement analytique, dont le sujet contient l’attribut, et nullement un jugement synthétique, dont l’attribut excède le sujet. Cette proposition peut en effet se traduire ainsi : Pour être pensant, il faut être, ce qui ne nous donne rien de plus que ce que nous avions déjà. On peut bien avec de telles propositions construire un système de pensées tout subjectif, mais qui n’aurait jamais aucune valeur objective. Ce n’est qu’après avoir constaté que cette proposition est enveloppée dans le Cogito, ergo sum, qu’on peut lui donner une valeur objective véritable ; elle peut alors devenir la majeure d’un raisonnement qui engendre la science en nous donnant « la connaissance de quelque chose qui existe. » Au contact d’une existence réelle, la vérité abstraite et formelle a pris une valeur réelle ; puisqu’elle est enveloppée dans l’existence, elle ne régit plus seulement le monde des essences vides, qui peuvent être et peut-être ne sont pas, mais aussi le monde vivant des êtres. C’est

  1. No 8, t.  I, p. 95.
  2. Lettre à Clerselier, t.  II, p. 332.