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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

Clerselier pour répliquer aux Instances de Gassendi. Il soutient que l’évidence que Dieu garantit n’est pas la même que celle qui lui a servi à démontrer l’existence de Dieu. Quand nous voyons actuellement une chose comme claire et distincte, il ne se peut faire que nous nous trompions, mais nous pouvons nous tromper quand nous ne considérons plus les raisons qui nous faisaient paraître cette chose évidente ; de sorte que nous serions toujours sujets à l’erreur et par conséquent au doute quand nous nous fierions à notre mémoire, si la véracité divine ne nous assurait de la bonté de cette faculté. Dieu ne garantit donc que la mémoire et le résultat des raisonnements dont on a oublié les prémisses.

Mais, malgré ces explications, les textes du Discours de la méthode subsistent, et, dans les Principes, Descartes dit formellement, nous l’avons vu, que « cette considération seule (la véracité divine) nous doit délivrer de ce doute hyperbolique où nous avons été… Elle nous doit servir aussi contre toutes les raisons que nous avions de douter et que j’ai alléguées ci-dessus[1]. » Or le doute hyperbolique enlevait à la fois la croyance aux apparences sensibles[2], aux apparences intelligibles[3] et aux réalités de toute nature[4], et il paraît évident que le Je suis, le Pour penser il faut être, la règle de l’évidence, tout cela a dû être emporté dans le naufrage général.

Aussi, si quelques commentateurs de Descartes[5] s’emparent à leur profit de son explication restrictive et le défendent ainsi d’avoir fait un cercle vicieux, d’autres, plus pénétrés peut être de la pensée intime du philosophe, essayent de trouver d’autres raisons.

M. Bouillier cite les explications de Descartes et ne paraît pas les approuver : « Il nous semble que Descartes aurait pu mieux se défendre en distinguant l’évidence en elle-même de l’évidence en son principe, ou l’évidence au point de vue psychologique de l’évidence au point de vue ontologique. Sans nul doute, l’évidence en elle-même, telle qu’elle se fait dans notre esprit, se suffit entièrement et n’a pas plus besoin d’une autorité qui la confirme que la lumière d’une lumière qui l’éclaire. Demander une preuve à l’appui de cette évidence, c’est demander quelque chose de contradictoire. Mais il n’est nullement contradictoire, à ce qu’il nous semble, de rechercher quel peut être, en dehors de notre esprit, le fondement de cette irrésistible autorité

  1. Principes, 1er part. , no 30, t.  I, p. 243.
  2. Raison tirée des erreurs des sens.
  3. Raison tirée des erreurs de l’intelligence.
  4. Raison tirée des songes et du malin génie.
  5. Ritter, Histoire de la philosophie moderne, trad. par Challemel-Lacour, t.  I, p. 30.