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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

stance du tout ; « le champ est ouvert aux hypothèses et aux discussions de mots[1]. » Descartes donc a tort de conclure de la pensée à la substance, car d’un côté la substance n’exprime pas tout son être ; il est plus qu’une substance, plus qu’un substratum passif, il est un être et une force ; de l’autre, la substance, nom absolu, très vaste et très général, ne saurait que dépasser le moi, être individuel et relatif.

La critique de Maine de Biran ne porte donc pas sur la légitimité de l’analyse cartésienne en elle-même ; Maine de Biran ne dit pas, comme Kant, que l’être ne peut se saisir et s’affirmer lui-même sans paralogisme. Il dit seulement que ce n’est pas comme substance que Descartes aurait dû s’affirmer, mais comme force. Si, au lieu de dire : Je pense, donc je suis une chose pensante, Descartes avait dit : J’agis, donc je suis une force active, Maine de Biran, loin de contester la valeur de son analyse, y souscrirait. Comme Descartes, Maine de Biran croit à la possibilité de trouver l’être dans l’analyse de ses actes ; ce n’est donc pas tant à proprement parler une faute de logique qu’il lui reproche qu’une faute de doctrine. Ce n’est pas la forme de l’analyse qui est fausse en elle-même, c’est la matière seule qui en occasionne la fausseté.

Kant prétendait au contraire que la forme même était fautive et que le fait de tirer une telle conséquence d’une intuition empirique ne pouvait être essentiellement et en lui-même qu’un paralogisme. Or nous ne voulons ici examiner les pensées de Descartes que du point de vue logique, sans nous embarrasser dans les discussions métaphysiques ; Maine de Biran, dès lors, ne-nous apparaît plus comme un adversaire de Descartes, mais bien plutôt comme un auxiliaire contre ses critiques et en particulier contre Kant.

Mais si Descartes ne fait ni un enthymème, ni un paralogisme, n’a-t-il pas fait une pure tautologie ? Gassendi le soutient : « Dire : Je pense, c’est dire : Je suis pensant, et quand vous ajouterez dans la conclusion : donc je suis, vous ne faites qu’une tautologie, vous prouvez le même par le même[2]. » Descartes prouve-t-il le Je suis par le Je pense, comme le soutient Gassendi ? — Non ; il le trouve, mais il ne le prouve pas. L’existence n’est pas prouvée par la pensée, elle est un fait constaté comme la pensée et en même temps qu’elle, mais n’en est pas déduite « comme par la force de quelque syllogisme. »

Cependant Descartes fait une analyse, et, en disant Je suis, il ne dit certainement pas plus que lorsqu’il dit Je pense ; il ne prouve pas le même par le même, mais il passe bien du même au même,

  1. De l’aperception immédiate, loc. cit., p. 14.
  2. Dubitatio prima, Instantiæ, nos  6 et 7. Œuvres de Descartes, t.  II, p. 509.