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ANALYSES.fr. bouillier. La vraie conscience.

prétentions « d’une certaine physiologie hardie et envahissante », qui tend à remplacer la réflexion par l’observation, le sens intime par les sens externes. Deux opinions nouvelles ont surtout le don d’irriter M. Bouillier. La première est celle qui consiste à transporter à la psychologie les procédés des sciences physiques et physiologiques. Sur ce point, l’argumentation de l’auteur est laconique et peut-être un peu trop tranchante : « Montrez donc vos découvertes. » semble-t-il dire aux nouveaux psychologues, qui sans doute répondraient : « Veuillez avoir un peu de patience ; nous ne faisons que commencer. Comment aurions-nous pu obtenir autre chose que ces médiocres résultats (p. 28,) si nous n’étions pas nés ? Des résultats, même médiocres, c’est si beau, et si rare en psychologie qu’on peut bien nous faire crédit de quelques années. » Ce n’est pas un argument solide et définitif que celui qui peut cesser demain d’être vrai. La seconde est la prétention de fonder une psychologie sans âme. C’est au fond le gros grief, l’accusation capitale : on ne pardonne pas à l’école nouvelle de s’émanciper de la métaphysique. La question de l’existence et de la nature de l’âme sera, par le progrès même des idées, réservée exclusivement à la métaphysique : d’autres diraient reléguée dans la métaphysique. M. Bouillier a cent fois raison de se refuser à éliminer ce grave problème : ce serait amoindrir l’esprit humain et mutiler la pensée. Toutefois, il semble que la psychologie doit en prendre aujourd’hui son parti et abdiquer la prétention de faire mieux que ses sœurs ainées : si la géométrie se désintéresse actuellement de la question de l’espace, la physique du problème de la matière, la physiologie du mystère de la vie, pourquoi la psychologie se croirait-elle de honorée en se désintéressant des vieilles et stériles discussions sur la nature de l’âme ? Une psychologie sans âme ! Le mot est dur et dédaigneux ; mais qui ne voit que c’est là une expression un peu forcée et équivoque à cause des différents sens du mot âme ? Une psychologie sans âme n’est nullement une psychologie matérialiste ; c’est une psychologie qui refuse absolument de se laisser entrainer hors du terrain solide de l’expérience. Si les anciens, si les cartésiens eux-mêmes ont toujours considéré le problème de l’âme comme appartenant en propre à la métaphysique, ne restons-nous pas dans la tradition ? L’opinion la plus nouvelle et la plus hardie est donc au fond celle de M. Bouillier. Quant aux nouveaux psychologues dont on gourmande l’orgueil et les prétentions, il pourraient bien, sur ce point particulier, être plus modestes et plus réservés que leurs contradicteurs, voire même — que M. Bouillier nous pardonne ce qui lui paraîtra sans doute un paradoxe — plus fidèles aux vraies traditions philosophiques.

Tel est le vif intérêt de l’ouvrage de M. Bouillier, qu’il est difficile d’en donner une froide et sèche analyse, car il touche à tant de questions curieuses, intéressantes, capitales pour l’avenir de la psychologie qu’on est inévitablement entrainé à discuter avec l’auteur. Le chapitre intitulé Physiologie et psychologie renferme une discussion approfondie des tentatives faites de nos jours pour éliminer la conscience. Faites-en, si vous