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4o Les idées de l’ancienne psychologie étaient par elles-mêmes infécondes et incapables de réaliser leur objet ; les idées-forces sont fécondes et produisent en nous, selon les lois du déterminisme, une certaine réaction contre le déterminisme même, principalement quand nous concevons l’idée de liberté et les idées similaires du moi, de l’absolu, de l’universel, de la moralité ; ces idées interviennent dans le cours des phénomènes intérieurs pour le modifier conformément à un idéal de liberté et de désintéressement. L’idée devient ainsi un facteur de première importance dans l’évolution humaine. En un mot, nous ne voyons dans l’ancienne psychologie que des entités-substances et des entités-modes, puis des modes spirituels absolument détachés des modes matériels et des mouvements : ce qui nécessite l’intervention d’une faculté ex machina sous le nom de volonté, laquelle vient fort à propos au secours de l’intelligence par elle-même inerte et stérile. À ces abstractions nous substituons la vie et le mouvement. À l’arbitraire d’un libre arbitre inintelligible nous substituons l’intelligibilité et la loi.

Nous ne réduisons pas pour cela les idées à de simples signes, ou reflets ; nous ne plaçons pas toute la réalité, toute l’activité dans l’automatisme physique, dont les faits psychiques seraient seulement les indices et les symboles. Dans cette hypothèse, les motifs redeviendraient, à vrai dire, aussi passifs que dans le spiritualisme ; seulement, au lieu de faire intervenir un libre arbitre spirituel pour faire accomplir la besogne effective, on en chargerait exclusivement un automate cérébral qui, disent Tyndall et Maudsley, fonctionnerait de la même manière quand même il n’y aurait pas conscience. L’idée serait alors comme une indication de manomètre qui mesure la pression de la vapeur, mais sans pouvoir en rien la modifier ni réagir effectivement sur cette pression. Pour un fatalisme exclusif et exclusivement mécaniste, le cerveau règne et gouverne : la pensée n’est que l’historiographe du roi. Maudsley et Carpenter remarquent que les processus intellectuels eux-mêmes, par exemple le raisonnement, suivent parfois leur voie pendant les absences et les éclipses de la conscience. MM. Spencer et Taine ont également montré que la conscience dans le souvenir, les idées dans la volonté, sont souvent un simple accessoire, des représentations et des accidents de surface. Il y a là assurément une part de vérité que nous sommes des premiers à reconnaître. Les anciens psychologues et même Stuart Mill s’en tenaient beaucoup trop, pour l’explication de nos actes, aux motifs et mobiles conscients. La loi de Mill était que « les mêmes motifs ou mobiles entrainent les mêmes volitions », et M. Bain a accepté cette loi. Or elle est ambiguë et, s’il s’agit des motifs ou mobiles cons-