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Essayerez-vous de mettre en relation deux commencements absolus au lieu d’un, — l’un qui serait un vouloir commençant absolument, l’autre un mouvement commençant absolument ; il vous sera toujours impossible d’établir une relation entre eux, une loi. Donc, au lieu d’un simple mystère, on se heurte une fois de plus à la contradiction de l’absolu relatif. — Mais il est illogique, dit-on, d’appeler contradiction une chose qui se passe tous les jours. — Ce n’est pas dans la chose qui se passe tous les jours qu’est la contradiction ; c’est dans l’explication qu’on en donne et dans la loi par laquelle on veut rattacher ensemble des commencements premiers qui, par définition, ne peuvent être attachés. Une loi entre deux exceptions ou une loi entre une exception et des lois, voilà les deux formules entre lesquelles vous avez le choix, et toutes les deux, bien examinées, sont inadmissibles. L’édifice de la causalité universelle, de l’universelle législation s’écroule aussi bien tout entier dès qu’on y fait une petite brèche que quand on en fait une énorme ; la première est pour nous moins visible ; voilà son seul avantage, ou plutôt son inconvénient.

Enfin, puisque le phénoménisme criticiste veut prendre de Leibniz « l’harmonie sans la prédétermination » (ce qui revient pour nous à dire le déterminisme sans la détermination), et puisque d’autre part il remplace les forces par de simples lois entre les phénomènes, pourquoi s’arrête-t-il en si beau chemin ? pourquoi ne rejette-t-il pas, avec Hume, outre la causalité transitive, la causalité immanente ? Celle-ci n’est pas plus admissible que l’autre dans un phénoménisme où il n’y a que des phénomènes et des lois. L’objection de Leibniz et de Hume contre l’action à l’extérieur, on peut l’étendre à l’action d’un moment de la vie psychique sur le moment suivant, d’une représentation sur la représentation suivante, et dire que la causalité volontaire est un phénomène subjectif, illusoire, comme le prétendu effort de Maine de Biran. Il y aura au dedans de nous une série de phénomènes liés par des lois, tout comme au dehors ; le libre arbitre, aussi bien que la force, deviendra un mot, un « symbole » ; il y aura réellement sensations et harmonie, sensations et raison : voilà tout. Action et passion, cause et effet, redeviendront des expressions toutes relatives et subjectives, il n’y aura de vrai que principe et conséquence, antécédent et subséquent, en un mot déterminisme. Toute idée de causalité supra-phénoménale étant écartée, un phénomène causa sui est un monstrum métaphysique et logique.

Ainsi se révèle à nous ce qu’il y a d’intenable, d’inconséquent dans la position d’un « criticisme » qui veut conserver de Kant le phénoménisme sans les noumènes, et qui se flatte de ne pas retomber