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ANALYSES. — MAX MÜLLER. Kant’s Critique.

la mesure numérique — et celle de causalité nécessaire. — Quelle part revient à Empédocle, Anaxagore, Socrate et son école ? Ces derniers ont vu le côté intérieur des choses, l’élément représentatif conscient ou inconscient mis en lumière de notre temps par Schopenhauer, et la finalité phénoménale.

Le moyen âge a définitivement traduit, exprimé, prouvé le besoin d’unité et de spiritualité inséparable de toute philosophie. Par la critique qu’il a faite des universaux, il prépare la métaphysique subjective de Descartes, et — conséquence inattendue de ces discussions logiques ou pseudo-métaphysiques — c’est ce même moyen âge qui finit par arracher l’esprit humain à la contemplation des choses en soi, des insaisissables Idées, pour le remettre en face des seules choses intellectuelles et intelligibles, le monde de nos concepts.

Les modernes ont dès lors leur œuvre toute tracée : il s’agit d’élaborer ce monde de concepts, représentation intellectuelle du monde sensible. Descartes n’hésite pas et, avec une merveilleuse sûreté de coup d’œil, place en tête de tous les concepts l’étendue et le mouvement, ces équivalents mathématiques de tout le reste. Le cri scientifique sera jusqu’à nous : Credo in unum motum. Le principal tort du système cartésien, selon M. L. Noiré, fut dans cette reconstruction idéale du monde de substituer inconsidérément partout et toujours l’idée de raison à l’idée de cause. C’était intellectualiser ie monde au suprême degré sans doute, mais en même temps le dépouiller de cette nécessité physique d’expérience qui, dans la simple sensation, en fonde l’objectivité. Heureusement le matérialisme scientifique, grâce à Bacon, Hobbes, Gassendi, fit contrepoids sur l’heure même à cette tendance. Les observations physiques, les déterminations numériques expérimentales, en établissant l’identité du poids des atomes et de leur mouvement propre, restituèrent l’existence à la matière cosmique, et à l’arbitraire logique ou mathématique inséparable des déductions abstraites, substituèrent la nécessité de fait.

Le monisme un moment effacé par le dualisme cartésien reparaît avec Spinoza. Il y a une connexion causale de toutes les existences particulières, corporelles et spirituelles, nous dit l’Éthique. L’être qui pense est en même temps un être étendu et matériel qui agit sur le monde extérieur en conformité avec les lois de la mécanique. L’esprit est la cause du développement du monde : le monde est la cause du développement de l’esprit. Il n’y a pas causation (transitive), mais identité d’être. Ce qui est cause objectivement est mentalement raison. — Au même moment, Locke combat, réfute la confusion cartésienne de l’espace et de la matière, déclarant inconnaissables les substances (noumènes), comme pourrait faire un idéaliste moderne.

Sans l’idée d’individuation de la force pourtant, le monisme mathématique et physique n’était encore qu’une vue incomplète de la réalité. Leibniz eut la sagacité, entre tant d’autres mérites, de signaler et de démêler au sein de cet océan de mouvements l’élément psychique à