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je veux dire ce que faisait aux temps d’autrefois le père de famille lorsqu’il montrait que tels et tels individus, quoique différents d’aspect et de forme, remontaient cependant à un ancêtre commun, et par conséquent devaient être rattachés a la même famille ou parenté. Dans chaque cas particulier où la preuve jusqu’ici a été faite, il y a pour nous profit intellectuel ; il en résulte un concept général plus correct : c’est une amélioration réelle de nos conceptions et de notre langage. Que nous remontions des Bourbons aux Valois et de ceux-ci à Hugues Capet, ou bien que nous fassions dériver le cheval et l’hipparion d’un commun ancêtre, la marche processive de l’esprit est identique. Dans l’un et l’autre cas, l’on constate des faits et rien que des faits. Eût-on établi qu’il n’y a dans toute la série aucun chainon manquant, par exemple entre l’homme et le singe, tout ce qu’on aurait gagné à cette démonstration ne serait qu’un nouveau concept, tout pareil à celui que nous gagnerions à établir la succession ininterrompue des apôtres. Voyons donc bien clairement en matière de recherches physiques ou historiques que nous avons affaire à des faits, rien qu’à des faits impropres de leur nature à motiver aucune passion ; et que les considérations transcendantes touchant l’origine des genres et des espèces appartiennent à une sphère différente de la connaissance ; qu’après avoir été controversées dés siècles durant, elles ont été enfin ramenées à leurs véritables termes par la Critique de la raison pure. »

L’Introduction. — Il est conforme à l’esprit kantien, semble-t-il, d’admettre que l’évolution de la pensée spéculative est, elle aussi, soumise à une loi de développement rationnel et continu. C’est du moins ce que M. Ludwig Noiré s’est ici proposé d’établir. L’auteur de cet essai historique estime que tout l’effort de la spéculation humaine, de Thalès à Hume, n’est que le triomphe du phénoménisme déterministe ou scientifique et la libération progressive de l’esprit à l’endroit des catégories métaphysiques et de leur usage transcendant. Il dépasse même quelque peu le parti de stricte réserve où jusqu’à la fin s’est tenu Kant, et nous fait entrevoir que la conclusion nécessaire du kantisme est le monisme métaphysique et physique. Doctrine oblige.

Avec l’école d’Ionie apparaît la catégorie fantôme, l’idée d’Être et de Substance. L’être est-il un ou plusieurs ? et de quelle nature ? L’école des Éléates, esprits tourmentés de logique, en posant la première la distinction des phénomènes et des noumènes, l’Un immuable, exprime autant qu’il était possible alors l’indestructibilité de la Force. Les antinomies datent aussi de cette heure et de cette école. En progrès sur l’ionisme, l’héraclitéisme démontre l’incognoscibilité de la matière, comme chose en soi, la circulation indéfinie de la vie, l’universalité du mouvement et du devenir sous les apparences de la stabilité et de l’inertie. Héraclite est moniste. Pour Démocrite et Pythagore, plus géomètres encore que physiciens, ils découvrent dans le mouvement l’atome et fixent les assises de la science expérimentale sur une double notion : celle de discontinuité — qui implique le dénombrement quantitatif et