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aussi à la négligence de l’imprimeur. Kant ne reçut point les épreuves de son livre, et, s’il révisa les trente premières feuilles tirées qu’il avait entre les mains au moment où il écrivit la préface, il le fit avec une négligence telle qu’il ne put y découvrir qu’une seule faute d’impression essentielle. C’est seulement à la fin de la 5e édition (publiée en 1799) que fut insérée une longue liste de corrigenda, sans nom d’auteur : essai d’amélioration qu’il ne faut attribuer ni à Kant (à partir de la 2e édition il ne revient plus sur son œuvre), ni à aucun de ses secrétaires. Les dites corrections, comme l’a démontré récemment Vaihinger, étaient du professeur Grillo et avaient paru en 1795 dans le « Philosophische Anzeiger ». M. Max Müller s’est inspiré en cette matière des travaux de Rosenkranz (1838), Hartenstein (1838, 1867), Kerbach (1877), Leclair (1871), Paulsen (1875) et Benno Erdmann (1878). Il n’a pas craint, avec l’aide d’un collaborateur très compétent, M. Ludwig Noiré, de proposer lui aussi de nouvelles leçons dans les passages où le texte communément adopté lui paraissait difficile à entendre : il signale en note ces corrections supplémentaires. L’œuvre, au seul point de vue philologique, est donc l’expression la plus complète de la critique contemporaine et un sûr guide pour les amis et disciples de Kant.

Il n’entre point dans le plan de ce compte rendu d’exposer en détail les raisons décisives de cette amélioration nécessaire, quoique fatalement conjecturale en bien des points. Une semblable étude, où il serait intéressant d’indiquer les résultats obtenus par d’aussi infatigables révisionistes que Leclair, B. Erdmann, Vaihinger, exigerait un cadre spécial : elle établirait malheureusement combien sous ce rapport la traduction française la plus autorisée aurait besoin d’être mise au niveau de cette philologie philosophique.

Contrairement au choix de divers éditeurs, aussi bien en Allemagne qu’en France, c’est le texte de la première édition qu’adopte et suit M. Max Müller : les additions ou remaniements de la 2e édition sont publiés en supplément à côté du corps d’œuvre. « La 1re édition, nous dit le traducteur, m’a toujours fait l’effet d’une œuvre nettement construite, toute d’une pièce ; la seconde me laisse l’impression d’une marqueterie (patchwork), sans compter que le ton apologétique et tout à fait indigné de Kant qu’on y trouve me cause un souverain déplaisir. » Il nous sera permis de féliciter M. Max Müller de cette netteté de langage et de décision. Les lecteurs de cette Revue n’ont point oublié peut être l’étude détaillée qui a été faite ici même de la différence de fond et de forme des deux éditions et des causes historiques de ces changements[1]. Les mesures réactionnaires du gouvernement prussien qui en 1794 allèrent jusqu’à « l’avertissement » et la « réprimande » de la part du ministère, ne se prévoyaient pas encore en 1788 lors de la 2e édition (le ministre Zedlitz, ami et protecteur de Kant, ne fut rem-

  1. Revue phil, août-sept. 1881, art. B. Erdmann, Kant’s Kriticismus.