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une res cogitans, une âme, un esprit ? — La perception est son essence à elle-même : la conscience est substance et non attribut ; il n’y a point d’âme ni d’esprit, il y a la perception de soi allant de l’infini à l’infini, causa sui, se renouvelant éternellement elle-même, répandant son activité sans limites au travers de la durée dans le monde de ses déterminations (ibid., § 71, 72, 73).

Ainsi une seule perception a l’être pour objet : c’est la perception du moi ; les perceptions extérieures ne sont pas des connaissances : on ne peut connaître les corps, car on ne connaît que l’être (Platon). Il n’est point vrai que nos perceptions aient leurs causes dans des choses extérieures dont nous ne possédons que les images : les choses en soi ne sont pas, les limites de la connaissance ne sont pas ; il n’est d’être que ce qui est perçu.

Cependant, quoique sachant le monde phénoménal, il faut le conserver comme un postulat de la vie pratique. D’ailleurs les jugements que l’on en tire ont la valeur de connaissances si on les rapporte au moi qu’il ont en réalité pour objet. — La loi de la gravitation est une loi non pas des corps, mais de l’esprit qui perçoit les corps : c’est une loi qui détermine le rapport des perceptions (ibid., § 76).

Enfin la connaissance, puisant dans l’intuition intellectuelle, dans la conscience du moi les notions pures à priori, idées innées au véritable sens de Descartes, appuie sur ce fondement tout le système de ses jugements analytiques et synthétiques (part.  II, iii, § 79 sqq.). Ainsi la métaphysique a à sa base la notion de l’être, et consiste tout entière dans le développement de la pure notion (ibid., § 82).

Nous ne dirons rien des deux dernières parties, ayant trait l’une au syllogisme, l’autre à la méthodologie. M. Bergmann s’y retrouve sur le terrain de la logique formelle, et il serait intéressant de l’y suivre dans des discussions parfois subtiles, souvent fortes et pénétrantes.

Il nous suffit d’avoir fait ressortir le point de vue auquel s’est placé M. Bergmann. — On l’a vu, c’est l’idéalisme subjectif abstractivement conclu de la conscience de soi. Que l’auteur le veuille ou non, c’est le point de vue de Fichte, rajeuni sans doute et originalement développé, mais, dans son essence, n’en différant aucunement. Quoi qu’il en dise (Préface), il n’a pas plus que Fichte sauvé l’existence des choses en soi : en réalité, elles existent chez l’un aussi peu que chez l’autre. — Il est intéressant de voir un homme se maintenir à un point de vue absolument condamné par les tendances de son époque ; il est plus intéressant peut-être de remarquer que ces directions opposées tendent vers le même point et s’appuient l’une l’autre. L’idéalisme subjectif abstrait de M. Bergmann ne diffère que par le point de vue de l’idéalisme concret des physiciens et des physiologistes. Peut-être la philosophie de l’avenir consistera-t-elle dans l’union de ces deux points de vue et y trouvera-t-elle la base d’une métaphysique nouvelle.

L. H.