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idées sont recevables en une autre interprétation ? Le droit existe, et il est des droits de plusieurs sortes. Le droit est l’autorité de la personne humaine s’exerçant moralement sur la société et la pressant, au nom de la raison, de s’organiser en vue de ses fins. Si l’on préfère cette variante, c’est l’autorité de l’être doué de raison demandant qu’on se montre raisonnable à son égard et qu’on l’admette à vivre au sein d’une société exactement rationnelle.

Le droit ainsi compris se divise en deux droits primaires d’où s’engendrent tous les droits de l’homme et du citoyen : le droit, antérieur à la société, d’exiger l’ordre social ou le passage de l’état de nature à l’organisation rationnelle ; puis le droit, après l’installation de cet ordre, d’exiger par rapport à soi le respect des lois qui le constituent.

On prévoit assez que nous ne faisons pas tenir toute la justice dans le Ne alteri feceris quod tibi fieri non vis, et que nous distinguons la probité que pratiquent les individus dans la vie privée de la justice proprement dite. La justice s’impose, il est vrai, à chacun des hommes, mais elle est surtout le grand devoir de la Société. En tant qu’elle commande aux personnes, elle est pour elles l’obligation, antérieurement à l’ordre social, d’y acquiescer et d’y contribuer, et, postérieurement à cette création, de se soumettre aux lois. En tant qu’elle régit la société, elle lui prescrit ses obligations en lui rappelant que l’État conscient de lui-même doit s’édifier à cette fin d’assurer la dignité, la liberté, le bonheur de l’homme. De même que la prudence s’enseigne, que la tempérance s’inculque dans les habitudes organiques, que le courage se sculpte dans les muscles, de même la justice se bâtit avec l’édifice social ; c’est s’abuser que de faire dépendre les vertus exclusivement de la libre inspiration du sujet moral ; elles ne peuvent être foncièrement que la construction réfléchie de la science ; elles sont avant tout le devoir de la Société, la tâche obligée des générations aînées à l’égard de celles qui les suivent. Cela est vrai surtout de la justice sociale.

Notre théorie, quelles que soient les critiques qu’elle soulève à son tour, est assez ample pour embrasser et s’assimiler ce que contiennent de vrai les doctrines adverses. — Elle répudie l’apriorisme de la métaphysique, mais elle accepte de celle-ci l’inviolabilité de la personne humaine, et mieux qu’elle, si nous ne nous abusons pas, elle en fait une réalité. — Elle croit que réduire l’État à un organisme, c’est dégrader l’homme et opposer à toute revendication un audacieux déni de justice. Cependant nous adhérons partiellement à la thèse naturaliste, surtout en ce sens que, pour nous, l’homme pris en dehors du corps social est quelque chose d’abstrait, qu’il n’est