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JOLY. — les origines du droit

onéreuses, de l’inégale participation à l’instruction et aux affaires. On est forcément, de par le sort, de ceux qui travaillent pour vivre chétivement, ou de ceux au profit desquels se détournent les courants du travail ; de ceux qui, parce qu’ils sont riches, ont reçu de l’instruction, ou de ceux qui, étant pauvres, sont en outre ignorants ; de ceux qui, parce qu’ils sont instruits et riches, prennent rang dans les classes dirigeantes, ou de ceux que leur ignorance et leur dénuement laissent à leur passivité ; de ceux enfin qui sont favorisés par les lois qu’ils ont faites, ou de ceux que tyrannisent des lois à la confection desquelles ils n’ont point eu de part. Dans un pays laborieux, couvert de machines et d’administration compliquée, comme sont tous les pays civilisés, un homme riche et un homme pauvre ne sont pas seulement deux individualités qui vivent l’une auprès de l’autre et dont les moyens d’existence différent. Ce sont deux êtres dont la vie se mêle intimement et compose un tissu serré, bien qu’informe, où les libertés et les jouissances de l’un se nouent sur la trame formée par les servitudes et les misères de l’autre. Le pauvre, de cela seul qu’il est pauvre, subit l’oppression de toutes les forces sociales et de toutes les fatalités naturelles dont refuse de se dépouiller un État inharmonique. C’est une raillerie de la part du législateur de dire que la libre-lutte des intérêts est la justice ; c’est le comble de l’iniquité, si l’on se reporte à tout ce qui précède et si l’on tient compte des mouvements mystérieux qui ne cessent de se produire dans les profondeurs du corps social. Aux jours de la Révolution, on a défait l’organisation féodale du travail ; tout aussitôt, car c’est une loi rigoureuse, s’est réformée, sous le couvert de la liberté, une organisation nouvelle, mais d’ordre inférieur et qui se trouve régie par des lois fatales d’asservissement. Point de justice que si l’on sort de l’état de quasi-nature pour entrer dans les voies de la raison réfléchie. On ne veut pas les coordonner dans la rationnalité ; eh bien, les choses se combineront d’’elles-mêmes follement, comme s’entrelacent dans une forêt les racines, comme s’entrecroisent les rameaux des arbres, les uns rabougris faute d’air et d’espace, les autres plantureux et forts, parce qu’ils accaparent toute l’alimentation contenue dans le sol et l’atmosphère. Dans un État, à moins d’une organisation rationnelle, on est opprimé ou oppresseur, spolié ou spoliateur, in civitate aut lex aut vis imperat (Bacon). Hâtons-nous de le dire, les institutions et non les hommes sont les coupables ; mais, s’il en ainsi, que les institutions soient réformées selon le droit. Pour conclure sur cette partie de notre sujet, la métaphysique du droit aurait raison, et il serait à propos de réduire l’État à ne rien faire qu’assister, avec l’impartialité dont ils est capable, aux inci-