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On peut expliquer de la même manière le lapsus visuel décrit par M. Egger, lapsus analogue à l’illusion que je viens de rapporter[1].

Dans ces deux cas, et cela arrive souvent, la vérité est facilement reconnue après vérification. Une fois que l’excitation se produit dans de meilleures conditions, elle détermine la sensation. Cependant, dans certaines conditions, la lutte peut se prolonger quelque temps. Un jour, j’étais à la chasse. J’étais fort jeune alors, et je chassais pour la troisième ou la quatrième fois ; aussi mon ardeur était-elle grande. Je vis, dans une prairie, quelque chose qui me parut être un petit oiseau. Je regardai avec attention, et je vis distinctement mon prétendu gibier remuer le bec comme s’il eût becqueté quelque chose par terre. Malgré cela, ne voyant pas l’oiseau sautiller ni même changer de place, j’eus des doutes, et je vis en m’approchant que j’avais affaire à un morceau de bois. Une autre fois, je fus moins méfiant, et je perçai de mes plombs une feuille sèche. Le désir, l’imagination, d’un autre côté ce qui dans un morceau de bois peut ressembler à un oiseau (corps opaque, de couleur gris-brun, d’une dimension déterminée), le milieu où je me trouvais, peut-être un brin d’herbe remuant derrière le morceau de bois, suffirent pour déterminer l’illusion. L’impression n’arriva pas entière à l’esprit ; certaines de ces parties, moins favorisées que les autres, ne purent d’abord parvenir à contribuer au fait de conscience. La nuit, c’est-à-dire quand la concurrence des excitations lumineuses est moins vive, certains objets, les arbres par exemple, paraissent prendre des formes fantastiques.

Ce ne sont pas seulement les sensations, mais aussi les idées fréquemment présentes à l’esprit, l’imagination, etc. qui peuvent rendre plus perméables les voies nerveuses et déterminer ainsi la sélection des parties de l’excitation qui s’adaptent le mieux à la structure acquise. On peut donc ranger dans la même catégorie que les précédents les faits suivants. Un officier de cavalerie, voyant des nuages, les prenait pour un corps d’armée que Bonaparte conduisait pour faire une descente en Angleterre (Esquirol).

Pendant le sommeil, les impressions extérieures, grâce à un mécanisme semblable, déterminent des illusions de même nature. « Bonaparte dormait dans sa voiture, lorsqu’elle faillit sauter par l’explosion de la machine infernale. Ce bruit épouvantable offrit à sa conception, dans la durée presque inappréciable du réveil en sursaut, le passage du Tagliamonte, la canonnade de l’ennemi, les Autrichiens, le prince Charles, les Français pressés autour de leur

  1. Voir Revue philosophique, septembre 1878.