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perez. — l’Éducation du sens esthétique

avec celle de leurs camarades. Ils ont fini par acquérir la faculté de chanter à l’unisson, c’est-à-dire de reproduire exactement les sons qu’ils entendent[1]. »

Ce sont là d’excellentes observations, qu’on peut appliquer à l’éducation musicale du petit enfant. Formons au moins l’oreille du nourrisson, s’il est vrai que la voix ne s’acquiert pas. C’est encore ici une opinion bien accréditée, mais, je le crains, étayée sur des faits exceptionnels bien plus que sur des faits régulièrement observés.

Les cas cités sont le plus souvent ceux d’adultes ou d’enfants déjà grands. Je me suis moi-même souvent laissé prendre à des observations de ce genre. J’ai vu que la voix reste fausse chez des personnes qui paraissent avoir de l’oreille. J’ai, entre autres, entendu une voix de ténor admirable, qui chantait faux : c’était un élève du Conservatoire, qui certainement n’avait pas d’oreille. Ici, l’oreille fausse faisait la voix fausse. L’essentiel est d’avoir l’oreille juste, et, je le répète, la première éducation y aide beaucoup. Il y a aussi dans la voix parlée un timbre juste ou faux, une harmonie des sons avec les pensées et les sentiments, une musique de l’âme, qui est l’un des grands secrets de l’éloquence. Or tous les maîtres de l’art oratoire ont cru que l’exercice et l’éducation pouvaient à cet égard rectifier les vices de nature. Quintilien, qui en était bien convaincu, s’est pourtant contenté d’exiger d’une nourrice qu’elle ait les mœurs et le langage purs, sans demander qu’elle ait aussi la voix juste. C’est là une condition que je réclamerais, quoique bien souvent difficile à réaliser. Tout au moins je défendrais à une nourrice notoirement infirme sous ce rapport de chanter auprès d’un berceau. Je conseillerais aussi aux parents ayant du goût pour la musique, mais le sens musical incomplet, en un mot, la voix et peut-être l’oreille fausses, de jouer plutôt que de chanter aux oreilles de leurs nourrissons. On peut, avec une oreille fausse, jouer passablement du piano.

Certains pédagogues sont d’avis qu’on pourrait amener progressivement les organisations les moins bien douées à percevoir les sons justes et à saisir le timbre musical, en les excitant à écouter des sons à intervalles tantôt moins, tantôt plus rapprochés, et cela avec des instruments destinés à exercer le sens de l’ouïe et à augmenter sa sensibilité. Je crois à la puissance de cette éducation commencée dès le berceau. Mais quel instrument remplacera jamais cet instrument tout formé par la nature, la voix humaine ? La voix douce et agréable d’une mère ou d’une nourrice, celle d’un frère, d’une sœur,

  1. Conférence pédagogique, p. 295 et suiv. a. Dupaigne.