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précocité, ne sont pas condamnées à un développement médiocre.

C’est pourquoi certains pédagogues, préjugeant l’esthétique du jeune enfant d’après la nôtre, ont eu tort de ne vouloir présenter à ses premiers regards que les objets les plus beaux à voir. Fénelon, toujours préoccupé de rendre l’instruction attrayante, demandait qu’on mît entre les mains de l’enfant des livres d’étude bien propres, dorés sur tranche, avec de belles gravures : comme il ne s’agit pas ici de l’enfant qui sait lire, ni même de celui qui apprend à lire, je glisse sur cette recommandation d’une utilité, selon moi, fort discutable. Son ami Fleury allait beaucoup plus loin : il aurait voulu qu’on instruisît l’enfant dans un beau jardin, que la première église où on le portât fût une belle église, que tout, autour de lui, fût souriant et gracieux, que le maître lui-même fût bien fait de sa personne, d’un beau son de voix, d’un visage ouvert, agréable en toutes ses manières. J’estime que c’est là de l’inopportunisme en pédagogie. S’il est vrai que les impressions le mieux assimilées sont celles qui ont été les plus vives, c’est-à-dire en général, les plus appropriées ; des objets beaux pour l’adulte ne seront tout au plus qu’agréables pour le petit enfant, et il est fort à craindre qu’ils ne laissent à son intelligence que des perceptions mal associées, incohérentes, morcelées, en un raot, indifférentes à son développement esthétique. J’ai observé plusieurs enfants, que des parents aussi ignorants de l’hygiène que de l’éducation avaient emmenés avec eux à la messe ; leur initiation esthétique et religieuse se bornait à ceci : la voix des chantres et celle de l’orgue provoquaient chez eux des criailleries désordonnées ou des accompagnements fantastiques ; les voûtes de style gothique ou renaissance, l’immensité de la nef, les superbes décorations, les riches vêlements des prêtres, l’artistique splendeur de l’orfèvrerie sacrée, tout cela passait pour eux inaperçu, tandis qu’ils concentraient avec ardeur leur attention sur des objets plus rapprochés d’eux et pour eux plus intéressants : le gâteau cent fois mordillé, cent fois jeté et repris, le luisant livre d’heures de leur mère, le talon de botte ou le bout de canne de leur grand-père, les barreaux polis et doux à toucher des chaises voisines.

Prenons l’enfant à l’âge de dix mois. Malgré le grand nombre de perceptions visuelles qui se sont associées dans son cerveau à ces sentiments de joie, de sympathie, d’admiration, qu’excite la vue du beau, malgré les progrès appréciables qu’il a faits dans l’habitude de comparer, d’abstraire, de généraliser, d’imaginer, il semble que le legs d’idéal hérité de ses ascendants ne se soit guère encore amplifié. Je vois un enfant âgé de dix mois tout joyeux de ce qu’on vient de lui mettre sa belle robe et ses souliers neufs ; mais je m’aperçois