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deur des dieux ne se mesure pas à leur infinité intrinsèque, mais à la puissance de leur action sur nous ; si le ciel avec ses soleils ne nous éclairait ni ne nous réchauffait, ce ne serait pas le Père universel, le Dyaush-pitâ, le Ζεύς, le Jupiter. Nous ne voulons pas dire avec Feuerbach que la religion ait simplement sa racine dans l’intérêt grossier, dans l’égoïsme brutal ; en ses relations avec les dieux comme avec ses semblables, l’homme est moitié égoïste, moitié altruiste : ce que nous maintenons, c’est que l’homme n’est pas rationaliste à la façon de M. Max Müller, que la notion de l’infini se développe indépendamment de la foi religieuse, bien plus qu’elle ne tarde pas à entrer en lutte avec celle-ci et à la dissoudre. Lorsque, par le progrès de la pensée humaine, le monde en vient à être conçu comme infini, il déborde les dieux, il les dépasse. C’est ce qui s’est produit en Grèce au temps de Démocrite et d’Epicure. La religion proprement dite veut un monde borné : on n’élève pas de temples à l’infini pour l’y loger. M. Max Müller loue les Hindous de s’en être tenus à l’adévisme ; est-ce bien à l’idée de l’infini qu’ils doivent cette sagesse, si c’en est une ; et cette idée, si elle eût été seule présente à leur pensée, ne les aurait-elle pas menés aisément jusqu’à l’athéisme ? Lorsqu’on apprend à voir se dérouler sans fin et sans un temps d’arrêt la chaîne éternelle des phénomènes, on n’espère plus modifier par une prière ce déterminisme inflexible ; on se contente de le contempler par la pensée ou d’y entrer soi-même par l’action. La religion se fond dans la science ou dans la morale. Il reste, il est vrai, une hypothèse suprême à laquelle on peut se rattacher : on peut essayer de diviniser l’infini, de lui prêter, à la manière des brahmanes, des bouddhistes anciens ou modernes, des Schopenhauer et des Hartmann, une mystérieuse unité d’essence ; la prière alors expire en méditation, en extase, en un bercement monotone de la pensée au mouvement da monde phénoménal : c’est la religion du monisme. Mais cette religion dernière ne provient pas de l’idée de l’infini ; elle s’y ajoute simplement : on cède encore à un besoin de personnifier, d’individualiser l’infini, tant l’homme veut à toute force projeter sa propre personne dans le monde ! On donne une âme à ce grand corps qu’on appelle la nature, on en fait quelque chose de semblable à notre organisme : n’est-ce pas là un dernier anthropomorphisme ?


III


Ce qui semble ressortir de ces considérations sur l’origine des religions, c’est que, contrairement à la pensée de M. Max Müller,