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guyau. — de l’origine des religions

proie à je ne sais quelle puissance invisible et oublie les douleurs de la vie. Mais non ; car dans le rêve on pleure encore, on souffre encore. Alors l’Atman, le moi suprême, ne serait-ce pas l’homme endormi sans rêve, « reposant au repos parfait ? » Ce fut toujours la grande tentation de l’Orient que de placer son idéal dans le repos, l’oubli, le sommeil profond et doux. Mais non, ce n’est pas encore l’Atman ; « car celui qui dort ne se connaît pas, il ne peut pas dire : Moi ; il ne connaît aucun des êtres qui sont, il est plongé dans le néant. Je ne vois rien de bon dans cette doctrine. » C’est après avoir franchi tous ces degrés successifs que la pensée hindoue arrive enfin à formuler ce qui lui paraît être tout ensemble la plus profonde réalité et le suprême idéal, l’Atman : c’est le moi sortant de son propre corps, s’affranchissant du plaisir et de la peine, prenant conscience de son éternité (Upan., VIII, 7-12) ; c’est « l’être antique, insaisissable, enfoncé dans le mystère… plus petit que le petit, plus grand que le grand, caché dans le cœur de la créature. » (II, 12, 20.) Cet Atman, la « personne suprême », que le sage finit par percevoir en soi, qui fait le fond de nous-mêmes, c’est aussi le fond de tous les autres êtres ; et ainsi l’Atman, le moi subjectif, est identique à Brahma, le moi objectif. Brahma est en nous, et nous sommes en toutes choses ; les distinctions des êtres s’évanouissent, la nature et ses dieux rentrent dans Brahma, et Brahma est « l’éther même de notre cœur. » « Tu es cela, tat twam », tel est le mot de la vie et du monde entier. Se retrouver en toutes choses et sentir l’éternité de tout, voilà la religion suprême ; ce sera la religion de Spinoza. « Il y a un penseur éternel qui pense des pensées non éternelles ; un, il remplit les désirs de beaucoup… Le Brahma ne peut être atteint par la parole, par l’esprit, ni par l’œil. Il ne peut être saisi que par celui qui dit : il est. » Ce Brahma, en qui tout s’évanouit comme un rêve, « est la grande terreur, tel qu’une épée tirée » ; mais il est aussi la joie suprême pour celui qui l’a une fois pénétré, il est l’apaisement du désir et de l’intelligence. « Qui le connaît devient immortel. »

Nous sommes enfin arrivés, avec M. Max Müller, « au terme du long voyage que nous avions entrepris. » Nous avons vu la religion hindoue se développer graduellement, cherchant à saisir l’infini sous ses formes les plus diverses, jusqu’à ce qu’enfin elle soit parvenue à le nommer de son nom le plus sublime, Brahma, l’éternel penseur, dont le monde n’est qu’une pensée fugitive. Maintenant les dieux sont morts ; les sacrifices, les rites, les observances de toutes sortes sont devenus inutiles : le seul culte qui convienne à l’infini, c’est la méditation et le détachement. Tous les débris des premières