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guyau. — de l’origine des religions

l’existence de l’atome. Et ce qu’on vient de dire pour l’espace s’applique au temps, à la qualité et à la quantité. « Par delà le fini, derrière le fini, au-dessous du fini, au sein même du fini, l’infini est toujours présent à nos sens. Il nous presse, nous déborde de toutes parts. Ce que nous appelons le fini, dans le temps et dans l’espace, n’est que le voile, le filet que nous jetons nous-mêmes sur l’infini. » (P. 203.) Et qu’on n’objecte pas que les langues primitives n’expriment en aucune façon cette idée de l’infini, de l’au delà, qui est donnée avec toute sensation bornée : est-ce que les langues anciennes savent désigner les nuances infinies des couleurs ? Démocrite ne connaissait que quatre couleurs : le noir, le blanc, le rouge, le jaune. Dira-t-on donc que les anciens ne voyaient pas le bleu du ciel ? Le ciel était bleu pour eux comme pour nous, mais ils n’avaient pas trouvé la formule de leur sensation. Ainsi de l’infini, qui existe pour tous, même pour ceux qui n’arrivent pas à le nommer. Or qu’est-ce que l’infini, si ce n’est l’objet dernier de toute religion ? L’être religieux, c’est celui qui n’est pas satisfait de telle ou telle sensation bornée, qui cherche partout l’au delà, en face de la vie comme en face de la mort, en face de la nature comme en face de soi-même. Sentir un quelque chose qu’on ne peut pas se traduire tout entier à soi-même, se prendre de vénération pour cet inconnu qui tourmente, puis chercher à le nommer, l’appeler en bégayant, voilà le commencement de tout culte religieux. La religion de l’infini comprend et précède donc toutes les autres, et, comme l’infini est lui-même donné directement par les sens, il s’ensuit que « la religion n’est qu’un développement de la perception des sens, au même titre que la raison » (p. 24).

Du point de vue où il s’est placé, M. Max Müller critique également les positivistes qui voient dans le fétichisme la religion primitive et les orthodoxes qui trouvent dans le monothéisme le type naturel et non encore altéré de la religion (48, 232). Suivant lui, nommer un Dieu, ou des dieux, c’est déjà avoir l’idée du divin, de l’infini ; les dieux ne sont que des formes diverses, plus ou moins imparfaites d’ailleurs, dont les divers peuples revêtent l’idée religieuse, une chez tous : la religion est pour ainsi dire un langage par lequel les hommes ont cherché à traduire une même aspiration intérieure, à se faire comprendre du grand être inconnu ; si leur bouche ou leur intelligence a pu les trahir, si la diversité et l’inégalité des cultes est comparable à la diversité et à l’inégalité des langues, cela n’empêche pas au fond que le véritable principe et le véritable objet de tous ces cultes et de toutes ces langues ne soit à peu près le même. Selon M. Max Müller, un fétiche n’est qu’un symbole, qui présuppose une