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ANALYSESb. de la fléchère. — Les révolutions du droit .

raisons de droit, mais par des motifs d’utilité. Enfin l’utile est au juste ce que la partie est au tout : l’être borné qui n’aperçoit que son intérêt personnel ne peut avoir le sentiment de ce qui est juste.

On le voit donc, pour M. B. de La Fléchère, il y a entre l’utile et le juste à peu près la même différence qui sépare le plaisir, la jouissance restreinte à l’instant présent et à l’individu, de l’intérêt bien entendu, considéré comme enfermant l’intérêt social. Mais on a beau changer le sens des mois : les difficultés subsistent. Pour nous borner à celle-ci, que devrons-nous faire dans les cas, plus fréquents qu’on ne veut bien l’avouer, où noire intérêt personnel, principe et mesure de toute justice pour nous, nous paraîtra en désaccord manifeste avec cet intérêt général, qui est, nous dit-on, le juste même ? Nous voyons bien que l’auteur, dans un chapitre intitulé Les indices du droit, se propose de rechercher les signes qui indiquent les cas où « l’individu doit abdiquer volontairement au profit de la société » ; mais il s’agit alors d’une abdication qui est ou lui paraît en définitive profitable : que fera-t-il, s’il n’en est pas ainsi ? comment l’intérêt social pourra-t-il prétendre primer l’intérêt personnel, par rapport, auquel, on nous l’a déclaré plus haut, li n’est qu’un moyen, qu’un simple instrument ?

Négligeant celte difficulté, M. B. de La Fléchère, dans le chapitre que nous venons de citer, cherche à déterminer les signes auxquels se reconnaît le droit. Pour cela, il considère d’abord la société comme un groupe de volontés qui subissent l’ascendant de la plus forte d’entre elles et sont entraînées dans, son orbite. À ce point de vue, le souverain, volonté dominante, impose le droit aux volontés servantes, conformément à ses besoins, à ses croyances, aux circonstances où il se trouve. Mais, comme il est lui-même intéressé à ce que le sujet ait une certaine sphère d’action, il la lui accorde et la lui garantit. Le sujet jusqu’ici ne connaissait que le droit : il sait maintenant quel est son droit. Mais, dira-t-on, s’il en abuse ? Alors même, le souverain ne lui retirera pas cette part de liberté ; car l’expérience lui montre qu’il en résulte pour quelque mal beaucoup de bien. Le sujet peut donc manquer à son devoir sans sortir des limites de son droit. — Ainsi apparaît la distinction longtemps méconnue du droit et de la morale. Ce n’est pas à dire au surplus qu’ils ne se rapprochent pas l’un de l’autre. Il y a entre eux une communication constante, et le présent ouvrage n’a pas d’autre but que de montrer comment elle s’opère. — Après les relations du souverain et du sujet, examinons celles des citoyens entre eux. Considérons cette fois la société comme un groupe de volontés indépendantes, qui entrent naturellement en conflit les unes avec les autres. L’intérêt de tous est que ces conflits soient pacifiquement résolus ; de là l’institution judiciaire, primitivement exercée par le prince, puis par les sages, les vieillards, les riches, enfin par les jurisconsultes. Quelles sont les sources auxquelles le juge doit puiser ? Ce sont : 1o  les arrêts de ses prédécesseurs, les précédents ; 2o  la coutume, 3o  la conscience môme du magistrat ; 4o  pour limiter l’arbitraire laissé au