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ANALYSESbrentano. — Sophistes grecs et contemporains.

qu’il s’est contredit, alors qu’en réalité il n’y a aucune contradiction de ce chef dans le Système de logique.

Malgré tout, cette seconde partie du livre de M. Funck-Brentano est de beaucoup la plus solide et la plus intéressante. On y trouve une véritable force de pensée : c’est une critique très personnelle, qui ne se paye pas de mots, va au fond des choses, et sait, quand il le faut, rivaliser de subtilité avec les théories, fort subtiles souvent, auxquelles elle s’attaque.

Il est temps d’indiquer la ressemblance profonde, l’analogie décisive que M. Funck-Brentano a cru découvrir entre les sophistes anciens et ceux qu’il appelle les sophistes contemporains. Les uns et les autres ont ceci de commun qu’ils ont confondu les idées abstraites et les idées concrètes. « Pour démontrer le pour et le contre de toute proposition, quelle qu’elle soit, il suffit, si c’est une proposition concrète, de prendre l’un des termes dans le sens abstrait, et, si c’est une proposition abstraite, de la prendre dans le sens concret, selon la thèse que l’on veut soutenir. Ainsi, pour démontrer le contraire de la première proposition venue : « Il fait beau temps », par exemple, il suffit d’envisager l’expression de beau dans le sens absolu, dans le sens de la beauté toujours la même, harmonieuse dans toutes ses parties, qui n’est point belle aujourd’hui, laide demain, pour que le beau temps devienne positivement laid, comme une statue dont un membre est bien, un autre mal fait, qui paraît droite d’un côté, bancale d’un autre. » (P. 93.) Par exemple, Zenon d’Elée applique à la notion de l’être prise dans le sens concret, à l’être réel, ce qui est vrai de la notion abstraite de l’être, de l’être absolu et un de Parménide : de là ses erreurs. — De même, Kant, « le fondateur de l’antinomistique moderne », oppose l’idée abstraite du temps sans commencement ni fin à l’idée concrète du temps qui passe et dure réellement, et, par là même qu’il pose l’une de ces notions, il exclut l’autre. — Ainsi encore, lorsque M. Herbert Spencer montre que nous pouvons faire trois suppositions intelligibles verbalement sur l’origine de l’univers, puis que chacune de ces suppositions est réellement inconcevable, il ne fait que répéter les arguments des sophistes grecs et méconnaît la portée des idées qu’il emploie.

Sur cette distinction des idées abstraites et des idées concrètes, qui est le principe d’après lequel M. Funck-Brentano juge et condamne les doctrines qu’il examine, on eût voulu des explications précises : il n’a pas jugé à propos de nous les donner. Il fait allusion à sa doctrine, mais sans l’exposer ; il rend des oracles en son nom, mais garde son secret pour lui. On eût été bien aise pourtant de connaître cette doctrine qui donne à ses initiés une si fière assurance et leur permet de juger de si haut et d’un ton si péremptoire ceux qui pensent autrement. En outre, la critique de M. Funck-Brentano eût singulièrement gagné en clarté s’il avait bien voulu dissiper le nuage dont sa pensée reste enveloppée. Il n’est pas aisé de comprendre les arrêts rendus au nom d’une loi qu’on ne connaît pas bien, et, avec la meilleure volonté du