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la parole, cette rencontre et cette conversation se relient à ces impressions si familières et en reçoivent ainsi un cachet d’authenticité. Cette aventure est, pour ainsi dire, inscrite sur le plan idéal de la ville. Sans doute cette authenticité dépend encore d’autres choses, et le lecteur complétera parfaitement de lui-même ce que cet exposé a d’incomplet. Il faut, par exemple, que je voie venir cet ami, que je le voie s’éloigner, qu’il soit et reste semblable à lui-même, qu’il agisse conformément à son caractère et à ses relations ; sinon, je soupçonnerai aisément que je l’ai vu en rêve. Mais si aucune de ces invraisemblances n’existe, puis-je me convaincre, autrement que par des témoignages extrinsèques, que l’aventure n’est pas réelle ? Si, par exemple, je rêve que j’ai laissé ma lampe de travail allumée et que, m’étant levé et l’ayant éteinte, je suis rentré dans mon lit, du moment qu’il ne s’est présenté rien d’insolite dans les tableaux qui ont surgi devant mon esprit, si la chambre avait bien son aspect ordinaire, et si la lampe rêvée ressemblait en tout point à celle que j’emploie, comment pourrai-je, au réveil, m’assurer que tout cela était illusion pure ? Comment le pourrai-je, à moins que quelqu’un, ayant veillé à côté de moi, ne m’affirme que je ne me suis point levé, ou que je n’aie des raisons péremptoires de croire que j’avais éteint ma lampe au moment de me mettre au lit ?

Mais, le plus ordinairement, le critérium distinctif du rêve, c’est le réveil. Perrette et M. Joyeuse sont tirés de leurs rêveries par un accident : l’accident qui chasse le rêve est le réveil. Le rêve le plus vraisemblable, et dans les combinaisons duquel n’entrent que des réalités, apparaît avec son caractère mensonger, du moment que je me vois « tout nu dans mon lit ». Je taxe d’illusion tout ce qui s’est passé entre l’instant où je me suis couché et celui où je me réveille. Il n’y a d’exception que pour des cas spéciaux comme celui que je viens de décrire. Mais on remarquera que c’est là une action isolée au milieu de la nuit, c est-à-dire sans attache avec ce qui suit ni avec ce qui précède. Pourtant ces exceptions, qui ne sont pas seulement théoriques, nous obligent à répondre négativement à la question : Avons-nous à l’égard des rêves un critérium de certitude ?

Non, il n’y en a pas. Il n’est pas de signe infaillible et universel qui nous permette d’affirmer avec une assurance absolue qu’un rêve était un rêve et rien de plus. Mais à cela, il n’y a pas grand dommage, pourvu que nous ayons un critérium de l’état de veille, un critérium qui nous certifie, quand nous l’interrogeons, que nous ne rêvons pas. Or donc, quand on veille, peut-on douter que l’on ne veille ?