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compayré. — du prétendu scepticisme de hume

melle et de marquer plus nettement les caractères propres aux vérités d’intuition et de démonstration. Et nous ne nous étonnons pas que Kant, s’en rapportant à ce passage, ait cru devoir compter Hume parmi ceux qui admettent la certitude absolue et nécessaire des connaissances mathématiques[1] : ce qui est vrai de l’Hume des Essais, mais non de l’Hume du Traité[2].

Hume, ayant formellement déclaré qu’il ne fallait chercher sa pensée définitive que dans les Essais, il semble qu’il soit permis de se ranger à l’avis de Kant et de conclure que, se contredisant et se réfutant lui-même, l’auteur des Essais, mieux informé, a restitué aux idées et aux propositions mathématiques une autorité qu’il leur avait d’abord refusée. En tout cas la contradiction mérite d’être signalée et ne permet pas que l’on confonde sans réserve Hume avec les philosophes qui ne distinguent en rien les vérités géométriques des autres formes de la croyance.

Mais, dira-t-on, l’affirmation vraiment rationaliste des Essais ne se concilie pas avec les autres parties du système de Hume. Nous répondrons que, pour comprendre la pensée de Hume, il faut s’être débarrassé des préventions que peut faire naître contre lui une fausse assimilation de sa doctrine avec le sensualisme vulgaire. Ne nous laissons pas prendre à ce mot d’impression que Hume avait bien sans doute le droit d’employer dans le sens qu’il lui plaisait, mais qui cependant a le tort d’égarer l’esprit, en l’invitant à croire que les premiers éléments de l’intelligence sont dus à une véritable expérience, à des acquisitions sensibles, à l’action d’objets réellement extérieurs. Pour Hume, les impressions, premiers modèles des idées, sont tout aussi subjectives que les idées, copies fidèles des impressions. L’expérience a dans sa pensée une tout autre signification que dans la pensée du vulgaire : elle représente non ce qui vient du dehors, car rien ne vient du dehors, mais ce qui se renouvelle et se répète. Cela étant, les faits premiers de l’esprit, les impressions, selon le mot de Hume, ne sont pas à proprement parler des faits d’expérience. Hume sans doute se refuse à nous dire quelle est leur origine, et il se borne à constater qu’ils existent. Mais n’est-ce pas en un sens avouer qu’ils sont a priori, qu’ils s’imposent du premier coup, que toute répétition, tout renouvellement de ces impressions est inutile pour que l’esprit saisisse les rapports qui existent entre elles ?

  1. Kant, Critique de la raison pure, t. I, p. 64.
  2. Le silence que garde Kant sur la contradiction qui existe entre les Essais et le Traité est, dans une certaine mesure, la preuve qu’il n’a connu de Hume que les Essais, qui furent traduits par Sulzer en 1755. Le Traité, qui ne parut en Allemagne qu’en 1790, lui était probablement inconnu.