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I


La première que nous signalerons est celle de M. F. Amiel, où l’organisation morale de Rousseau, sa Caractéristique générale, a été habilement analysée. Bien entendue, appuyée sur une connaissance exacte des sciences biologiques et de leurs procédés, cette psychologie des caractères serait, avec la psychologie des races, un précieux complément de la psychologie générale : elle formerait vraiment cette « histoire naturelle des esprits », comme on l’a appelée, qui remonte aux origines de toute individualité éminente, en rassemble les éléments formateurs dus à la naissance, ou à la nature, au milieu, aux circonstances accidentelles ; détermine le produit, la résultante de ces conditions concourantes, et de cette cause générale redescend aux effets, c’est-à-dire aux pensées, aux sentiments, aux productions scientifiques, littéraires ou artistiques de l’homme. L’élude de M. Amiel, sans atteindre à cet idéal, est cependant une sérieuse contribution à cette psychologie biographique.

L’âpreté, la bizarrerie de Rousseau, si discutées par ses contemporains étonnés, ne furent point son humeur naturelle. C’était une âme excitable au plus haut degré, comme son organisme maladif, dès l’origine agitée d’élans voluptueux, imprégnée d’ardeurs héréditaires : nature combustible et rêveuse à la fois, contraste familier chez les artistes et les poètes, tenant de la femme et de l’enfant, avec un penchant significatif à la concentration sur soi. Ce qui domine en lui, c’est le « cœur sensible, pétri d’amour, » qu’il hérita de ses parents, caractères héroïques à leur manière, dont « les amours avaient commencé presque avec leur vie ». Ce fils d’horloger, petit-fils de ministre calviniste, garde de sa mère le tour d’esprit aigu, Imaginatif et aventureux, tempéré longtemps par une sorte d’indolence physique. Ce n’est point le Genevois classique ; il s’en distingue par la différence de proportion des éléments combinés et par l’adjonction d’un facteur nouveau, étant par ses ancêtres, réfugiés à Genève pour cause de religion, « de souche gauloise et même parisienne. »

« Son organisation est particulière. Il a toutes les perceptions subtiles et bien ouvertes au monde extérieur ; c’est un homme de fine sensation. Mais la sensation chez lui est dominée par le désir, le désir vif, impétueux, impatient, bouillonnant. Son humeur est mobile comme l’onde, son tempérament inflammable ; il a les appétits nombreux, les sensations fortes, les résolutions précipitées. — S’animer modérément n’est pas une chose en sa puissance ; il faut qu’il soit de flamme ou de glace : quand il est tiède, il est nul. — C’est un homme de passion. »

Dans un siècle où la sensibilité à fleur de peau était une mode, Rousseau connut toutes les profondeurs du sentiment : il fut ému ou attendri jusqu’à l’exaltation, jusqu’aux plus belles effusions lyriques, mais