Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/40

Cette page n’a pas encore été corrigée
34
revue philosophique

pensée. Pourtant, il se rattache directement, et par des liens assez étroits, à une doctrine philosophique des plus célèbres. Il est, au moins dans l’intention et par les généralités de ses vues scientifiques, disciple de Kant. Un des points essentiels de la philosophie kantienne est, on le sait, la distinction, en toute connaissance, de deux éléments de provenance différente, la forme et la matière, l’une à priori, l’autre à posteriori, celle-ci résultat de l’action sur nous de quelque chose d’extérieur à nous, celle-là expression des conditions organiques de toute pensée. Cette distinction et cette opposition de la matière et de la forme de la connaissance sont l’âme de toutes les pensées de Whewell sur la nature et les procédés de la science. Il la poursuit et la retrouve dans toutes les sciences sans exception, et dans celles qui semblent à certains philosophes d’origine plus particulièrement à priori, et dans celles qui paraissent au contraire provenir exclusivement d’une source empirique, et dans les mathématiques pures, et dans les sciences les plus concrètes de la nature. D’après lui, si toute connaissance scientifique suppose l’intuition des faits, elle requiert également l’intervention d’idées, sans lesquelles les faits demeurent épars et inintelligibles. « Les sens placent devant nous les caractères du livre de la nature, mais ils ne donnent aucune connaissance, tant que nous n’avons pas découvert d’alphabet pour les lire. » Cet alphabet vient de l’esprit ; ce sont les idées que nous surajoutons aux faits pour les comprendre.

Telle est, aux yeux de Whewell, l’antithèse fondamentale de toute science, de toute philosophie. On l’a formulée de façons différentes : choses et pensée, vérités expérimentales et vérités nécessaires, induction et déduction, faits et théorie, sensation et réflexion, objectif et subjectif ; au fond, c’est toujours cette double vérité que les faits, en leur aspect scientifique, sont vus à travers certaines conceptions de l’esprit, sans lesquelles ils seraient pour nous lettre close, et que nos conceptions sont unies à des sensations sans lesquelles elles seraient cadres vides.

Pour établir cette thèse fondamentale, Whewell, infidèle à l’esprit de Kant, recourt, non pas à l’analyse de la pensée, mais à l’histoire des découvertes scientifiques. Prenant les sciences à leur origine, les suivant en leurs développements, il constate qu’elles sont nées le jour où l’esprit humain a lié les phénomènes par des conceptions générales, et qu’elles ont progressé en raison de l’abondance et de la clarté croissantes de ces conceptions[1]. Mais que sont en eux-

  1. « Dans des écrits antérieurs, je n’ai pas seulement établi cette vue d’une façon générale, mais je l’ai suivie en détail, dans la plus grande partie de