Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/399

Cette page n’a pas encore été corrigée
393
baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

la duchesse passât en revue les 8 000 hommes de milice de la ville de Toulouse : c’était une énormité, mais on obéit ; on lui passait tout car on l’adorait. Il était l’idole de la jeune noblesse. Dès qu’elle le sut à Toulouse, où les capitouls et le comte de Caraman s’apprêtaient à le fêter, elle était accourue pour le voir des quartiers les plus reculés du Languedoc et de la Guyenne. Il eut tout de suite une cour jeune et brillante, amoureuse comme lui de l’amour et de la chevalerie des romans, païenne d’imagination et païenne d’esprit, car tous les libertins n’étaient pas à Paris : les jésuites, qui ont été sans le savoir les pionniers de la Renaissance, les instituteurs du monde moderne, les fourriers de l’incrédulité, avaient ouvert partout ces collèges où l’étude des lettres anciennes remplaçait la doctrine barbare des Universités catholiques, et où les écoliers se formaient à la critique, par la comparaison, toute intuitive, des religions présentes et passées[1].

Il faut le dire : tous les gentilshommes venus à Toulouse ne ressemblaient pas au baron de Savignac, au baron de Montant, au vicomte d’Arpajon, aux sieurs de Pins et de Moussoulens, à cette élite enfin de seigneurs qualifiés qui formait la société habituelle du duc de Montmorency[2]. Au contraire, la plupart en étaient restés aux enseignements de leur curé, un surtout, que dévorait le zèle de la foi chrétienne, et celui-là Vanini avait dû bien souvent songer à lui dans ses nuits d’insomnie : c’était ce seigneur de Francon que l’impiété railleuse du signor Pompeio avait si violemment révolté pendant les vacances de 1617[3]. On a vu qu’il demeurait dans le diocèse de Commenge, par conséquent hors de la juridiction de l’officialité toulousaine. Les injonctions menaçantes du monitoire n’avaient pas été jusqu’à lui. — Il n’y resta pas sourd, dès qu’il put les connaître, et ce fut presque en arrivant à Toulouse, car la présence du gouverneur et l’espèce d’émoi qu’elle excitait n’avaient pu empêcher que l’arrêt de la Grand’Ghambre, mal accueilli de l’opinion, ne fût encore, après un mois, la grande nouvelle du jour. Aussitôt, « pour décharger sa conscience », « pour faire son devoir », comme on disait en ce temps-là quand on voulait répondre à l’appel du juge d’Église[4], il alla trouver le premier président Le Masuyer. Rien ne saurait rendre la joie triomphante que causa dans la ville cette démarche inattendue, ni les transports d’admiration qu’on sentit parmi le peuple pour

  1. J’ai développé cette idée dans les Mémoires de l’Académie des sciences, inscript. et belles-lettres de Toulouse, tome VIII de la 7e  série, pages xix-xxxv.
  2. Mercure français, tome V, p. 108 et suiv.
  3. Garasse, Doctrine curieuse, p. 144.
  4. Archives de la Haute-Garonne, série E, papiers de Dupérier.